Il n’a donné aucune interview, parce qu’« un torero se produit dans l’arène, pas dans les journaux ». Torero énigmatique et atypique, José Tomás, qui ne décolle pas plus ses lèvres que ses pieds du sol, a, bien entendu, choisi un apoderado également anticonformiste. Salvador Boix ne sort pas du sérail de l’affairisme taurin. Il est d’abord un aficionado passionné par la tauromachie et par le personnage de José Tomás et se définit comme « tomásiste récalcitrant ». Il dit récalcitrant pour bien souligner, en rigolant, l’entêtement de son admiration. « Je suis tomásiste très définitif. On ne peut pas l'être plus que moi. Dalí aurait trouvé une épithète encore plus pharamineuse. » Boix a rencontré Tomás en 1999. Pour une émission de Barcelona Televisió, il était allé le chercher à l’aéroport de la ville en même temps que la fourgonnette de la cuadrilla. Il comptait l’interviewer dedans. Kiki, le chauffeur du torero, s'étant égaré dans l’Eixample, le quartier modern style de Barcelone, la discussion avait duré plus longtemps que prévu. Ils avaient parlé de toros, mais aussi de l’architecture molle de la Barcelone de Gaudí et de Puig i Cadafalch. Leur amitié est née là. Plus tard, Tomás l’invitera à venir « débuter comme torero » face à un petit veau dans les marismas du Guadalquivir. Grosse rigolade. Ce retour à Barcelone, qui coïncide par ailleurs avec la fin du contrat qui le liait jusqu’en 2006 avec son ancien apoderado, Martín Arranz, n’est pas innocent. Tomás y a souvent triomphé. Il aime y toréer. Il a choisi la capitale de la Catalogne pour, aussi, conforter l’afición locale en lutte, comme on sait, avec un certain catalanisme partisan de la prohibition de la corrida.
Pour le dramaturge
catalan Albert Boadella, grand
admirateur de José Tomás et militant antinationaliste, le retour du torero de la bouche cousue « est la seule possibilité que nous avons d’en finir avec le nationalisme catalan ». Le prohibitionnisme catalaniste vient d’ailleurs, après les dernières élections de la Generalitat, de reculer politiquement. Le nouveau président de la communauté autonome, le socialiste José Montilla, est aficionado et a pris sous son aile officielle le congrès de chirurgie taurine organisé ce mois-ci à Barcelone. De son côté, Salvador Boix raconte que des amis à lui membres d’Esquerra Republicana de Catalunya, le parti de la prohibition des toros, lui demandent des places pour la corrida du 17 juin. Les raisons du retour de Tomás sont aussi illisibles que celles de son départ.
admirateur de José Tomás et militant antinationaliste, le retour du torero de la bouche cousue « est la seule possibilité que nous avons d’en finir avec le nationalisme catalan ». Le prohibitionnisme catalaniste vient d’ailleurs, après les dernières élections de la Generalitat, de reculer politiquement. Le nouveau président de la communauté autonome, le socialiste José Montilla, est aficionado et a pris sous son aile officielle le congrès de chirurgie taurine organisé ce mois-ci à Barcelone. De son côté, Salvador Boix raconte que des amis à lui membres d’Esquerra Republicana de Catalunya, le parti de la prohibition des toros, lui demandent des places pour la corrida du 17 juin. Les raisons du retour de Tomás sont aussi illisibles que celles de son départ.
Pourquoi les toreros arrêtent-ils de
toréer ? Pour mille raisons. Parce qu’on ne veut plus d'eux, Guerra en larmes
comme Margaret Thatcher partant de Downing Street ; pour un coup de blues, Juan
Bautista ; pour se marier, Jesulín de Ubrique en pleine saison 1999 ; par
traumatisme, comme Morante après son échec de Madrid en avril 2004 ; pour faire
encore parler d’eux, comme Ortega Cano plusieurs fois ; pour des raisons qui
leur sont intimes, comme Tomás. Pourquoi reviennent-ils ? Pour l’argent. Parce
qu’ils sont justement mariés. Pour faire encore parler d’eux, Cano cette année.
Pour expliquer qu’il faut toréer de face, comme Manolo Vázquez en 1981. Parce
qu'ils ont retrouvé leur équilibre, comme Morante. Par ambition artistique. Ou
tout simplement parce qu'ils ne peuvent pas s’en passer. José Tomás disait cet
hiver que son corps lui réclamait cette émotion : toréer et combler ce manque.
L’année 2002, qui a suivi sa retraite, Curro Romero l’a, de son propre aveu, si
mal vécue qu’il s’est mis à bouffer comme quatre. L’an dernier, à 72 ans, il s’accrochait
encore à la mince éventualité d’un revenez-y: «Revenir? Ce serait difficile.
Mais on ne peut jamais dire « Fontaine je ne boirai plus de ton eau. »
Pour Salvador Boix, « Le but de Tomás est de toréer comme il l’a toujours
fait, de se mesurer à tous les toreros, à toutes les figuras comme il l’a
toujours fait, et parce que ça ne peut être autrement ».
On remarque que
Tomás, 32 ans, qui devrait toucher autour de 120000 euros par corrida, revient
cette année après les grandes bagarres du printemps, Séville et Madrid, et
qu'il ne souhaite toréer qu¹une vingtaine de courses. Mais on devrait par
exemple le voir avec Ponce à Alicante, et avec Castella à Nîmes. Cette
réapparition, ses adulateurs diraient cette parousie, donne un attrait
supplémentaire à une saison qu’on peut prévoir, pour le premier circuit,
marquée par le combat des chefs Castella-El Juli, par la pontificale suprématie
de Ponce, par le magnétisme de Morante de Puebla qui ne rivalise qu'avec
lui-même et les petits oiseaux, par quelques trucs frappants d’El Cid, par la
montée en puissance de César Jiménez, Talavante, Perera, par la grande classe
de Manzanares ou la montée d'outsiders, Tejela, Juan Bautista, López-Cháves,
Fernando Cruz. Si les toros ne servent pas uniquement d’aimables
sparring-partners. L’arrivée de José Tomás est l’occasion d’un joli exercice de
littérature comparée. D’autres, Castella, Talavante, Perera, occupent après lui
et face au toro ce terrain surexposé, ce « territoire comanche » qu’il a
arpenté et imposé à la fin des années 90. Après cinq ans d’absence, comment se
distinguer de ces successeurs, qui, maintenant, le précédent ?
Sur les retours
des toreros, l’histoire de la corrida n’apporte aucun enseignement. Certains
maestros sont revenus en décevant ou pour faire juste un dernier petit tour de manège
: Domingo Ortega, réapparu le 30 juillet 1953 et disparu le 14 octobre de la
même année, après seulement 12 corridas ; Pedres, revenu pour sauver son
exploitation agricole et toréer désormais classiquement ; d’autres, revenus
pour mourir : Ignacio Sánchez Mejías; d’autres, pour couper une queue à Madrid,
comme Belmonte en 1935; d’autres, la majorité, parce que qu’est-ce que vous
voulez qu'ils fassent? Maçon ? Conservateur des hypothèques ?
Jacques Durand
Photos 3 ©Meyer
Publié dans Libération mars 2007