Elle
est, officiellement, la maudite de l’histoire de Manolete. La réprouvée
certifiée conforme : Lupe Sino. Carmen Esteban a consacré à son histoire
d’amour avec Manolete un ouvrage tonique, peut-être pour répondre à la question
que lui a posée un jour José Tomás, grand admirateur de Manolete : «Qu’est ce que tu sais d’elle, quel genre
de femme c’était ?»
Antonia
Bronchalo Lopesino, dite Lupe Sino, Lupe comme
Avec cette histoire
d’amour et de mort sur fond d’Espagne sinistre, de sexe, de drogue, de toros,
de nuits blanches au bar Chicote dans le Madrid rance du franquisme, Carmen
Esteban construit un récit vengeur qui secoue la version ordinairement admise de
la relation entre Lupe et Manolete. Une version véhiculée par les ragots de
l’entourage familial du torero et de l’establishment taurin faisant de Lupe «
Pour Esteban, Lupe fut une jeune femme «intelligente, cultivée, courageuse, très belle et moderne, en avance sur son époque», et Manolete «un révolutionnaire, un rebelle, en piste et en dehors». Pour preuve, il ne refuse pas, à l’inverse de beaucoup d’autres toreros, de toréer avec une femme, Juanita Cruz. Il refuse en revanche de combattre devant Himmler et n’hésite pas, à Mexico, à manger avec un ancien député de la gauche espagnole en exil dans une salle ornée d’un petit drapeau républicain. Doit-on l’enlever, lui demande-t-on. Non. Mieux, dans l’Espagne confite en dévotion où s’embrasser sur un banc est interdit, Manolete et Lupe, «un couple moderne et transgresseur», vivent ouvertement en concubinage.
Carmen Esteban revisite
cette histoire le fusil chargé et fait quelques victimes. Doña Angustias, mère
du torero : une castratrice, une «mule».
Guillermo, le fidèle valet d’épée : un «serpent»
espionnant pour Angustias les faits et gestes du couple. Camara, l’homme
d’affaires du torero : un hypocrite et un cynique. Alvaro Domecq, un menteur,
un intrigant, qui, à Linares, interdit à Lupe de voir son amant agonisant de
peur qu’elle ne se marie avec lui à l’article de la mort, ce qui en aurait fait
son héritière au même titre qu’Angustias. A l’hôpital de Linares, un seul
«caballero» : Luis Miguel Dominguín. Craignant pour Lupe lors de l’enterrement
du torero, il la fait partir à Madrid.
L’histoire
d’amour finit sur ces deux scènes opposées : le système enterre Manolete en
grande pompe à Cordoue. Lupe Sino, écartée de la cérémonie, est seule dans son
petit appartement madrilène. Revenue en 1957 du Mexique où elle s’était mariée
avec un Manuel Rodríguez avocat, elle y est morte, seule et sourde, le
13 septembre 1959. Une légende veut qu’à l’heure de son décès un toro
nommé Islero sortait du toril de las Ventas. Si c’est vrai, c’est trop vrai
pour être beau.
Jacques Durand. Publié dans Libération septembre 2007
Lupe, el Sino de Manolete de Carmen Esteban, Ediciones Espasa Hoy