Nord-Pinus


Dans une vitrine, une enveloppe envoyée de l’hôtel Ritz à Lisbonne et adressée à «Señora Maria Callas» Adresse : Grand Hôtel Nord-Pinus, Arles. À côté, une autre lettre. Le destinataire ? L’écrivain américain Jim Harrison, Nord-Pinus, Arles. Aux murs, des photos de célébrités : Picasso, Cocteau mangeant avec le torero Luis Miguel Dominguin, Yves Montand, Curd Jurgens, Simone Signoret etc.…Avant d’être le rendez vous arlésien des locomotives du cinéma, de la corrida, de l’art, de l’opéra, de la littérature ou de la foire aux vanités le fameux hôtel Nord-Pinus d’Arles fut un relais de diligences planté au cœur de la ville, Place du Forum ex Place des Hommes. Les hommes ? Les « rafis », les ouvriers agricoles qui venaient s’y louer à la journée. Les propriétaires de Camargue ou de Crau descendaient au Grand Hôtel du Nord pour les embaucher. Et ce nom alors de Pinus qui intrigue tant ?  Pas de mystère, pas d’embrouille pseudo latinisante. C’est tout bête.  En 1865 Monsieur Pinus, un suisse venu de Genève acquiert l’hôtel et lui accole son nom : Grand Hôtel Nord-Pinus. Sa clientèle ? Beaucoup de commis-voyageurs venus souvent de la capitale à qui on sert donc, contre la gastronomie locale, une cuisine septentrionale : elle est au beurre. Les arlésiens la boude.  Sa célébrité, l’hôtel y accède à la fin des années 40 grâce à un couple de saltimbanques : Germaine et Jean Bessières dit Nelo. Germaine est fille de l’Assistance. Elle a fait une carrière de trapéziste et de chanteuse de cabarets. Elle est copine de Piaf, de Fernandel, de Maurice Chevalier. Jean est fils d’un colonel nîmois mais Nelo, son nom d’artiste, est fils du cirque. Il est clown ou chante l’opérette sur un petit vélo déguisé en écossais chez Médrano. Ils ont pris leur retraite à Arles où ils ont racheté l’hôtel.
Leurs amis vedettes s’y logent à l’occasion de tournages de
film, pour les corridas et par amitié. Ça fait boule de neige. On y croise Paul Klee, le roi Farouk d’Egypte, Mistinguett, Jouvet, Sacha guitry.  Germaine y a baptisé les chambres : chambre Cocteau, chambre Charles Trenet, chambre Fernandel, chambre Picasso, ce qui lui vaudra une belle engueulade du peintre. Elle lui répondra aussi vertement que, tout Picasso qu’il soit elle l’emmerde. Germaine est un foutu caractère, « un peu piquée même » dit-on dans le voisinage. Sur le livre d’or où Picasso a laissé un commentaire elle écrira en rouge « quel con ! ». La chambre 10, baptisée chambre Dominguín est la chambre des toreros qui viennent à Arles.  Luis Miguel Dominguín est la grande star des années 50. Les jours de triomphe il apparaît sur le balcon de la 10 qui surplombe la Place du Forum et 20 mètres carrés d’aficionadas, en contre bas, tombent amoureuse de lui. Les jours de corrida le bar de l’hôtel, le bar Cintra, devient une annexe des arènes. Les indigènes que la redoutable Germaine filtre à l’entrée peuvent y côtoyer des demis ou quarts de dieu et écraser des pieds qui ont des noms célèbres : Yvan Audouard, Romy Schneider, Manitas de Plata.Dans la rumeur mondaine le Nord-Pinus   devient « l’hôtel le plus prestigieux du midi » et Nougaro n’y dort que dans la chambre dite de l’Empereur malgré l’inconfort : les chiottes sont à l’extérieur.  Une nuit d’hiver Germaine verra surgir l’acteur Peter O’ Toole. Ivre mort il vient de se faire virer du Jules César où dans les couloirs, il avait organisé une bataille rangée à coups d’extincteurs. Il tournait « Un Lion en hiver » mais l’hiver c’est bientôt le Nord-Pinus qui va le connaître. Nelo décède en 70, le jour de son anniversaire. L’hôtel plonge dans le délabrement et bientôt la faillite ; il faut même vendre l’argenterie pour payer les traites. Bientôt l’établissement aux rideaux dont la couleur rouge évoquait le cirque ferme, est saisi. Germaine s’y cloître, seule entre une armée de chats, ses robes aux couleurs criardes, ses fourrures, ses chaussures, son excentricité, ses souvenirs refroidis dans une poussière désormais sans étoiles. Une jeune femme, Anne Igou, vient la voir régulièrement. Elle est pharmacienne biologiste mais s’est entichée du Nord-Pinus « de son côté déglingué, de sa décadence, de ses odeurs. » Elle veut l’acheter. Pendant plus d’un an elle fait le siége de Germaine qui chaque fois renvoie les rendez-vous chez le notaire au lendemain. Enfin au printemps 87 Germaine, en larmes et sur son trente et un, signe l’acte de vente. Condition : qu’elle puisse jusqu'à sa
mort habiter le Nord-Pinus. Deux jours après la signature elle meurt, à 92 ans. Anne restaure l’hôtel, le redessine sans le dénaturer : elle a gardé par exemple les fers forgés des montants des lits et le fameux bar Cintra. Elle y a ajouté du cuir, du bois, des tapis d’orient, des photos « africaines » de Peter Beard, des photos de mode de Peter Lindbergh, des photos tauromachiques de Peter Knaup. Le 10 septembre 89 à 7 heures du matin l’hôtel est baptisé. Un torero y dort : Christian Montcouquiol Nimeno II. Un ami d’école d’Anne. Il torée ce jour là à Arles. A 19 heures, toutes sirènes hurlantes une ambulance l’emporte entre la vie et la mort à l’hôpital de la Timone à Marseille. Un toro de Miura vient de le démolir. Dans la soirée Un orage éclate sur Arles. Au Nord-Pinus encore en travaux l’eau tombe des bâches qui recouvrent le toit. L’électricité saute. On pleure dans le hall éclairé à la bougie.  Anne fermera l’hôtel le lendemain. Le Nord-Pinus, cuir, bois, tapis d’Orient, souvenirs mêlés des toros, d’Espagne, d’Afrique, de jolies femmes et de quelques monstres sacrés ressuscitera six mois plus tard. A Pâques.
Sur la place du Forum, devant le Nord-Pinus, une statue :
Frédéric Mistral, le manteau sur le bras, le chapeau « Valergues » sur la tête, la canne à la main, de longs cheveux, « un frère de Buffalo Bill » d’après Jean Hugo. La statue édifiée après souscription publique a été inauguré, par Mistral lui-même, le 30 mai 1909 pour le cinquantenaire de Mireille. Ce jour-là le fameux taureau cocardier Prouvenço du marquis de Baroncelli était, en Camargue, tué par ses congénères Sangar et Laietoun. La veille Mistral avait inauguré le Muséon Arlaten dont l’assemblée constitutive s’était réunie en 1896 à l’hôtel Nord-Pinus. Lorsqu’il venait à
Arles Mistral s’installait au café place du Forum, alors Place des Hommes et montrait à ses admirateurs son effigie : « il ne me manque que la valise » ; On dirait en effet qu’il attend le train mais c’est sa statue, œuvre de Théodore Rivière qui va jouer la fille de l’air. Le 26 mars 1942 elle a disparu. De peur que les allemands ne la fondent elle a été mise à l’abri dans un lieu secret toujours pas dévoilé. Elle réapparaît en 1945 et à nouveau inauguré et élevé, après souscription publique le 3 juillet 1948.  

Jacques Durand