J’ai
jeté ma veste à Rincón. A Séville, le vendredi 23 avril, vers huit heures du
soir. Il faisait sa vuelta. Il avait coupé deux oreilles à Violonista, un toro
de Jandilla un peu faiblard. Pas pour longtemps. Tout a éclaté au même moment.
La musique, la clameur, les olés, la classe, le galop, la vigueur retapée de Violonista
parce que César, canela y oro, l’appelait de vingt, trente mètres et que
Violonista s’engouffrait dans cette invitation pour ressusciter les années
Rincón 90 en faisant cliqueter le bois des banderilles sur son dos. Quelqu’un
derrière moi : « Es un torero que sabe de toros ». A Alcala de
Henares ce jour là le roi Juan Carlos donnait la médaille du prix littéraire Cervantès
plus 90151 euros au poète chilien Gonzalo Rojas 86 ans fils de mineur. Gonzalo
Rojas : « Il faut en même temps regarder derrière et aussi devant et
ne pas avoir peur de la peur. » Rojas a aussi évoqué la langue comme «
patrie de Cervantès. » A Séville la patrie de Rincón, du Jandilla, des 12543
spectateurs dont moi et ma veste c’était la corrida comme souffle et pas comme
chuchotement. Pendant sa vuelta, Rincón qui paraissait violemment ému plissait
des yeux comme s’il regardait s’éloigner loin, très loin, les différentes saloperies
qui ont failli l’emporter. Ce soir là à Séville Le Vargas Blues Band donnait un
concert Sala Q calle Metalurgia et Rincón venait de pulvériser son propre
blues. Et le mien. J’ai jeté ma veste. Elle est tombée dans la contrepiste. Un
employé de la maestranza me l’a renvoyée sans ménagement ; comme une
peilhe. Certes ce n’était qu’une veste de friperie, à 3 euros, cuir et fausse fourrure,
genre distributeur de la Cause du Peuple dans les années 70 ; mais tout de
même. Le soir on a mangé au Pescaito Frito face au marché de l’Arenal. Le fils
du patron, baryton au théâtre de la Maestranza a d’abord dit tout le mal qu’il
pouvait des critiques en général qu’ils soient de corrida, de musique, de
hockey sur gazon ou de patins sur glace. Il avait dû en prendre une, de
critique, dans les gencives mais enfin il a chanté un air de Carmen, le même
chaque année, sans pouvoir d’ailleurs aller jusqu’au bout. Il s’est excusé. La
gorge. On était une grosse dizaine dont Elena responsable municipale de l’hygiène
des bars et restaurants sévillans. Gros boulot. C’est elle qui avait fait fermer
le bar restaurant des Trois Rois because les cafards. A cause de la corrida de
l’après midi et de Rincón on ne lui en a pas trop voulu. C’est que les
cucarachas de la cuisine des Tres Reyes exhibaient le trapio des Adolfo Martin
de Madrid.
La veille El Cid avait exploré les gradins pour y dénicher Paco Camino.
En vain. Il voulait lui brinder un toro. Avec sa tête de magasinier dans une
grande surface Le Cid est un type qui a longtemps cherché sa voie avant que les
victorinos ne le mettent sur les rails et dans le bon wagon. Il y a cinq, six
ans, Gonzalito alors son apoderado glapissait dans le hall du Victoria à Madrid
tout le bien qu’il pensait de son torero et tout le mal des fils de pute qui ne
l’engageaient pas. Il était dans le vrai, Gonzalito. Le Cid lui a donné raison
bien plus tard. En particulier à Dax en août devant un Samuel Flores plus
charitable encore que la mère Teresa de Calcutta et en septembre à Nîmes face à
deux Victorino Martín à qui de la main gauche il a fait prendre l’Orient Express
avec une somptueuse tauromachie de train de luxe. La veille, retrouvailles.
Avec le Rincón de Séville et devant un vibrant toro de Juan Pedro domecq qui
avalait le sable. En regard de cette façon chevaleresque, radieuse et juvénile
d’engloutir la bravoure dans un pan de serge rouge César Jiménez a soudain paru
plus poussiéreux que Belphégor. Et la faena de Ponce, toujours à Nîmes, avec
Anheloso le Juan Pedro Domecq survivant du dimanche matin de Pentecôte ? On
n’aura pas la stupidité de vouloir disséquer son enchantement. Elle avançait
sur des pattes de colombes et le choc poétique du soudain survolait sa
précision raffinée.