Miguel Angel Perera alors novillero a eu la même
réaction d’amour propre le 17 juin dernier à Valencia envers un policier qui
faisait office de délégué de l’autorité dans la contre piste. Dans la matinée du
21 mars dernier Perera torée à Valencia où il triomphe. L’après midi en civil
mais sans autorisation légale il assiste à la corrida de la contre piste. Le policier
chargé de l’ordre public le fait déguerpir. Trois mois plus tard il est allé
montera à la main lui brinder son
novillo en lui disant «Est ce que
tu aurais eu les couilles de faire ce que tu m’as fait à une figura del toreo.»
Réponse du commissaire d’après la revue 6 Toros 6: «Ça tu me le répètes devant un juge et la
montera tu te la mets dans le cul.» Le prometteur Perera aujourd’hui
matador pourrait être interdit dans toutes les arènes de la région de Valencia.
L’insolence est l’attestation du torero comme héros du « point d’honneur » et le brindis lorsqu’il n’est ni protocolairement obligé ni honorifique ni lèche cul un des moments où sa revendication peut s’exprimer.
Dans les années 60, lors d’une corrida télévisée le matador Jaime Ostos est allé offrir le combat de son toro au micro de la télévision espagnole en dénonçant la vénalité et l’incompétence du commentateur Lozano Sevilla par ailleurs sténographe personnel de Franco. Provocation suivie d’effet : Sevilla sera viré de la télé.
Le torero n’est
soumis ni au devoir de réserve ni à la civilité.
Dans une corrida à Salamanque Roberto Dominguez
dira au ministre de la justice Fernando Ledesma qui s’était levé de son siège
de se rasseoir. L’honneur n’était pas pour lui mais pour son voisin de gradin.
Le 28 mai 2002, le roi d’Espagne présent au
premier rang, José Tomas n’ira pas, à l’inverse de Luiguillano et de Mora,
l’honorer d’un brindis.
Dans son intervention prononcé en hiver 2001 à
Séville lors du Congres International «fiestas de
toros y sociedad»
le philosophe Francis Wolff expliquait que l’éthique du torero est une éthique
de l’être et non du faire et que le sentiment d’omnipotence sur quoi il forge
sa propre image doit s’imposer non seulement au toro mais au monde entier à
travers tout type d’obstacle : le vent, la pluie, les réactions du public,
les décisions de l’autorité, ses propres émotions, qu’il doit contenir, sa douleur même qu’il doit cacher.
Geste de torero. En 1975 dans la Monumental de Mexico le toro Bermejo de l’élevage de Xajay éviscère le torero Antonio Lomelin. Lomelin prend son paquet intestinal dans ses mains et part à pied à l’infirmerie où il sera sauvé.
Geste de torero. En 1975 dans la Monumental de Mexico le toro Bermejo de l’élevage de Xajay éviscère le torero Antonio Lomelin. Lomelin prend son paquet intestinal dans ses mains et part à pied à l’infirmerie où il sera sauvé.
Le torero est le héros solitaire d’un intangible
qui s’exprime, après un accrochage avec le toro dans les si taurines locutions «dejame
solo» et « no pasa
nada» : «laissez moi
seul» et «il n’est
rien arrivé.»
No pasa nada. Jeudi 21 avril 1978 à Séville.
Paquirri dans un costume bleu anthracite se plante au milieu de la piste pour
poser une paire de banderilles «à
l’écart» à un toro d’Osborne. Sur sa lancée le toro l’encorne, lui
détruit les muscles de chaque cuisse. Saison terminée pour Paquirri. Il réapparait
l’année suivante et comme un guerrier de l’immuable demande à toréer des toros
d’Osborne le jeudi de la feria de Séville, se met un costume bleu anthracite,
va banderiller son premier toro «à l’écart» au centre de la piste. L’ovation,
dans le souvenir des sévillans, n’est toujours pas éteinte. La morgue des toreros a ses figures
emblématiques : Guerrita par exemple. Retiré de la tauromachie active il engueulait le roi Alphonse XIII d’être né trop tard pour pouvoir l’avoir vu toréer.
Ce sentiment d’une toute puissance vient de
l’ancien prestige du torero comme individu hors du commun parce qu’il joue sa vie et provoque la passion sociale. En 1893 à Madrid Lagartijo fera changer l’heure
de la procession du corpus. Elle coïncidait avec sa corrida. En 1881 Mazzantini
touchait 5000 pesetas par corrida soit le salaire annuel d’un ingénieur des
mines. Cette munificence est révolue. Les sportifs de
haut niveau ont pris la relève. Mais l’effronterie, son vestige, a subsisté y
compris entre toreros.
A 15 ans le débutant Luis Miguel Dominguin narguait
le célèbre Domingo Ortega 33 ans «Domingo
fais attention à tes tripes parce que moi je me fous que le toro me mette sa corne dans les yeux
et qu’elle ressorte par les cotes;» Par une arrogante curiosité
le torero colombien « El Puno»
mettait son point d’honneur a aller visiter le cimetière des villes où il toréait Son chauffeur refusait de l’accompagner. Selon
Lucio Sandin avec qui il a beaucoup toréé José Cubero «Yiyo»
pouvait, par panache, lui raconter une brève de comptoir entre le moment où son
valet d’épée lui tendait sa muleta et celui où il faisait la première passe.
Cette haute image de lui-même tuera Fermin Munoz
«Corchaito». Le 9 août 1914 il torée à Cartagena le toro
«Distinguido» de Felix Gomez. Il l’estoque. Le toro tombe L’estocade trop en avant ne lui
plait pas. Il le fait relever par ses péons. Deuxième estocade. Pas terrible.
Mais Le toro se couche. Le puntillero s’apprête à l’achever. Corchaito l’en empêche.
Fait relever le toro, l’estoque à nouveau, le toro l’encorne et le tue.
L’échec n’altère pas pas l’amour propre du
torero. Au contraire, il le cimente. Le 13 juillet 1965 à Pampelune 13240 coussins
tombent sur la sortie de El Cordobés. Il s’arrête au milieu de la bronca se met
à les toréer et redevient ce torero qu’il avait été si peu devant le toro. On ne sait pas si on doit mettre dans ce
registre ou dans celui d’une bonne
promotion l’attitude de Jesulín de
Ubrique baissant ses pantalons sur un plateau de télé pour montrer ses
cicatrices à la journaliste qui lui demandait «Si sa tauromachie était faite de trucs ». « Voilà mes trucs».
L’insolence taurine est contagieuse.La mère de El Fundi a traité publiquement les
aficionados du tendido 7 de Madrid fâchés avec son fils de « fils de vipère et de scorpions. »Et au début du siècle le critique José de la Loma
du journal El Liberal usera largement de
l’impertinence envers le torero Vicente
Pastor qu’il démolissait
systématiquement. Le torero, écœuré, lui enverra une lettre de protestation :
«Ça parait incroyable alors que je
suis souscripteur de El Liberal.» réponse de de la Loma :
«Être souscripteur du libéral vous
donne seulement droit de recevoir à
moitié prix le feuilleton que nous publions.»
Évidemment l’orgueil du torero est réversible et soluble dans la flagornerie et
l’humiliation. Luis Miguel Dominguín a pu brinder un toro à Franco en lui envoyant un «A vous, la meilleure muleta d’Espagne».
l’humiliation. Luis Miguel Dominguín a pu brinder un toro à Franco en lui envoyant un «A vous, la meilleure muleta d’Espagne».
Et lorsqu’il est sec il arrive à l’ex matador
maintenant banderillero Julian Maestro de distribuer des pubs dans les boites à
lettre de Madrid. Mais il le fait caché derrière des lunettes noires et une
casquette.
Jacques Durand
Tableaux: Anne Françoise Belanger "Insolente légèreté du noir"
Christophe Henry "Insolence"
Jacques Durand
Tableaux: Anne Françoise Belanger "Insolente légèreté du noir"
Christophe Henry "Insolence"