Pour remercier Don Modesto le Pape Noir voulut lui offrir un solitaire monté en platine. Refus outré du critique. Par contre qu’il donne un bracelet à sa fille, d’accord. On était au début du XX siècle et les rivaux du pape noir s’appelait Petite Bombe (Bombita), Petit Lapin (Conejito), Petit Lézard (Lagartijillo Chico), et encore Rafael le coq (Rafael El Gallo).
Noir, le gamin Bienvenida ne l’était guère. Il était blond, avec des yeux bleus et des grands pieds. Son père était au désespoir. Son fiston qui s’endormait dans ses capes et dont il voulait faire un torero ressemblait selon lui à un anglais. Alors il lui mouillait régulièrement les cheveux pour les foncer et lui mettait de petits souliers. La famille émigre à Séville et à 9 ans Manuel torée. Enfermé dans une cage il affronte des veaux dans un cirque et participe aussi aux tournées de la troupe des « Enfants Toreros de Séville ».
Premier contrat à
Lisbonne.
Il y va clandestinement caché sous le siège en bois du train. Il ramènera son
premier cachet à sa mère : 12000 réaux. Elle achètera des sacs de pois
chiches, de haricots, du sucre, de l’huile, des jambons, du chorizo, de la farine.
En 1904 Manuel est un novillero brillant malgré quelques bons coups de corne
comme à Nice en 1900. Il triomphe à Madrid, Bilbao, Valencia, Lisbonne. A Barcelone
son nom remplit la plaza. La police doit charger les spectateurs restés dehors
qui veulent forcer les portes. Un spectateur enthousiaste lui jette une blouse.
Il torée avec. A la fin de la corrida la blouse rendue à son propriétaire est
vendue aux enchères. Les aficionados se sont jetés en piste pour étouffer sous
leurs baisers ce torero miniature. Son style est décoratif et esthétisant. Avec
la fameuse pase cambiada que, à Séville,
lui a enseigné Le Petit Gros (Gordito) fameux matador à la retraite et presque
aveugle. Il est aussi tragique et annonce avec celle d’El Gallo et celle de
Gaona une tauromachie « moderniste ». Elle est en accord avec le
mouvement poétique « moderniste et décadent » de l’époque illustré
par Ruben Dario et Manuel Machado.
Bienvenida prend
l’alternative le I4 octobre 1905 à Saragosse des mains
de El Algabeno qui lui dit : «Manolito,
bonne chance et continue d’être un bon fils ». Bienvenida
commencera sa faena au toro Huidor de Benjumea
muleta pliée dans la main pour la fameuse passe changée. La pase cambiada deviendra comme le sceau
ou la bulle du pape noir qui pour son alternative a touché 3000 pesetas. Selon
les vœux de son père il en laissera 1000 à la vierge du Pilar, 1000 à ses péons
et flambera le reste au casino. Avec Emilio la petite Bombe, Bienvenida est un
de ceux dont la presse parle avec l’emphase d’époque pour « occuper le trône
laissé vacant » par Guerrita. En 1908 juste après la mort de son père et
dans un habit de deuil en soie noire et broderies de jais il a triomphé à Madrid
dans une corrida où l’on a joué la marseillaise en l’honneur des « Reines Françaises de la mi carême ».
Puis il est parti toréer 6 corridas à Mexico pour un énorme cachet. 60000 pesetas.
En 1910 année où Don Modesto l’a baptisé le Pape
Noir il veut asseoir son pontificat sur la profession. Pour marquer le coup le
10 juillet il s’engage à toréer à Madrid en solo 6 toros de Trespalacios. Il
est allé les voir au campo. Le numero 13, Viajero, un toro gris lui a plu.
L’organisateur non. Il trouve que Viajero a une « cara de guasa » « une
figure d’emmerdements ».
Le
matin de la course le pape est allé à la messe. Puis le critique taurin qui
signe El Caballero Audaz est passé le voir à l’hôtel Ultramar. Bienvenida lui a
confessé que toréer ainsi à Madrid c’était comme un banco et qu’il sortira de
la corrida en triomphe ou sur la civière. Il l’a dit à son valet d’épée
« El Poeta » : « prépare
l’arnica ». Puis il a enfilé son habit de lumières grana y oro une
couleur dont les valets d’épées disent qu’elle a de la « guasa ». Il a annoncé au Caballero
Audaz : « cette après midi je
vais donner une passe qui, si je la réussis, va révolutionner la tauromachie ».
Viajero est le troisième toro de l’après midi. Il a pris sept piques et le pape
lui a fait sept quites différents. Bienvenida très « urbi et orbi » le brinde à Madrid et au monde taurin. .
Viajero s’élance sous le gradin du 2. Sous le gradin du 5 Bienvenida immobile
et coudes collés au corps veut lui
donner une sorte de passe statuaire nommée passe de la mort ou passe du céleste
empire. Viajero sur sa lancée lui enfonce toute sa corne dans la cuisse gauche qu’il
transpercé de bout en bout et jusqu'à l’aine. Certains diront que Viajero avait
confondu la couleur du costume avec la couleur de la muleta. On emporte Bienvenida
à l’infirmerie. Le trou est si grand que le chirurgien qui l’opère à vif touche
avec sa sonde la table d’opération. La corne a sectionné la saphène et le nerf sciatique.
La nuit on emporte à pied sur une civière Bienvenida jusqu’à son hôtel. L’actrice
Sara Lopez suit le cortège en pleurant et en criant « laissez-moi le voir ».La guérison est longue. On parle de
couper la jambe de Bienvenida. Il a un revolver Smith sous son oreiller pour
tirer sur le chirurgien qui tenterait l’opération et se suicider en suite. On
lui sauve la jambe.
Plus tard de Séville il
fera à pied le pèlerinage à son village natal pour offrir à la Vierge de Tous Les Miracles
une jambe en argent qui sera ultérieurement fondue et intégré à la porte du
tabernacle. Il reprend même la tauromachie en avril 1911. Mais sa force a fui par le trou de sa jambe. Il
part rouler sa bosse dans toute l’Amérique du Sud. Il y reste sept ans. Il fait
plusieurs métiers : ouvrier, entrepreneur, explorateur, joueur de casino,
aviateur, chercheur de pétrole. Il organise les corridas qu’il torée. A Bogota
il en a monté une au bénéfice des cireurs de chaussures et pour qu’ils puissent
s’en acheter. Ailleurs il propose aux spectateurs de les rembourser s’ils ne
sont pas contents de lui. Il traine la patte. La sciatique. Lors d’un paseo à Mexico
il demande a Juan Silveti de marcher lentement. Il ne peut pas suivre. Il torée au Guatemala au Venezuela dans des coins perdu de la forêt amazonienne
où il s’est rendu en pirogue. En 1924 il revient en Espagne et s’occupe désormais
de la carrière de tous ses fils toreros à qui il inculque un principe : « il faut être torero jusque dans les chiottes ».
Il est mort le 4 octobre 1964. Il avait demandé qu’on verse sur son cercueil 10 kilos de sable des arènes de Séville et Madrid et dix kilos de celles de Badajoz. Son souhait ne pourra être exaucé. Peut-être parce que ce n’était pas très catholique.
Jacques Durand