Quand les Toreros s'arrachent les cheveux



Donc, le vingt-neuf mai à Madrid, Julio Aparicio a tiré sa révérence. Après un échec
majuscule devant un toro remplaçant de Fraile Mazas. Déjà, le quinze, il s’était abîmé dans le désastre. Aux cris de « fuera,fuera » Las Ventas l’a mis dehors. Il a alors jeté l’éponge avec quoi il avait essuyé, comme on dit, toutes ces broncas. El Fandi lui a coupé sa coleta. Il est sorti sous les sifflets et les coussins. Lui était digne, les coussins moins. Cependant, pour un torero, cette méchanceté vaut mieux que de la commisération. Son geste a surpris tout le monde y compris son apoderado Ortega Cano. Qui s’est juste fendu d’une phrase laconique. Elle renvoyait son torero à sa déréliction : « S’il a fait ça, il aura ses raisons ». Faciles à comprendre : le violent rejet du public, le constat sur 4 toros de sa propre impuissance. La même avait détruit Rafael de Paula le dix-huit mai 2000 à Jerez. Incapable de venir à bout de ses toros, il s’était arraché la castañeta en signe de désespoir, comme on s’arrache, effectivement, les cheveux. Il était entré en larmes dans la contre piste. Jerez n’est pas Madrid et, avec Curro Romero et Finito de Cordoba qui lui avait brindé son dernier toro, de Paula, déroutant jusque dans la déroute, avait fait une vuelta sous les palmas de tango des arènes. Mais Madrid est un tribunal et sa main est inflexible.
Le trente septembre 1973, le madrilène Gregorio Sanchez, torero de la vergüenza s’il en fut, fait sa dernière apparition à Las Ventas où il est infiniment estimé. Un solo. Il y a du vent, les toros d’Aleas sont exécrables, ça se passe mal. Sifflets et bronca pour Gregorio qui veut que son fils vienne en piste lui couper sa fausse couette. Le public le lui refuse. Le modeste torero Jorge Martinez « Paquiro », lui, c’est la vacherie des organisateurs de Alcalá de Henares qui brise son vœu. À part une novillada sans picador à ses débuts en 2001, il n’a jamais pu toréer dans sa ville natale. Il veut en 2011 y faire ses adieux, s’y trancher son petit chignon artificiel. Nada. Il est écarté de la feria. C’est un chagrin de plus ajouté à ses tragedies personnelles. Son valet d’épées Daniel Jimeno qui pleurait d’émotion en l’habillant en torero s’était fait tuer par Capuchino, un toro de Jandilla, lors de l’encierro de Pampelune, en haut de la rue de la Estafeta le 10 juillet 2009. Son oncle, Jorge Martinez « Paquiro » matador puis banderillero et qui l’avait guidé dans le métier s’est suicidé à 25 ans le 23 septembre 97. Déclaration amère de « Paquiro » : « je pars parce que le monde taurin est fatal. » Et renégat.
En juin 2010 à Mexico, le novillero Cristian Hernandez plie boutique. Il panique devant un de ses novillos, lâche sa muleta, saute la barrière, ne veut plus revenir en piste. 3 avis. Scandale stratosphérique. Le juez de plaza, le président de la course lui demande de se couper la coleta. Ce qu’il fait, en l’exhibant au très maigre public. On veut bien croire que les cheveux même artificiels repoussent alors que le scrupule, pas vraiment. Alors, comme il ne manquait pas de toupet, Hernandez s’est remis devant les toros. Il a toréé ce 15 mai à Aguascalientes. Cela dit, sans succès. Même contrepied capillaire pour Larita. Fin 1932, il en a marre. Sa carrière est derrière lui. Il a décidé d’arrêter lors d’une course de novembre à Madrid. Il y brinde longuement son dernier toro au président puis aux tendidos sol. Patatras, il coupe, comme à son premier, deux oreilles et la queue. Son péon lui apporte une paire de ciseaux. Le public hurle et proteste : « no te la cortes ! No te la cortes ! » Et Larita : « bon, puisque c’est comme ça, je ne me retire pas. » À l’inverse, Lalo Moreno, torero de Pampelune, prend, des mains de Niño de la Capéa, l’alternative à Tafalla le dix-sept août 1987. Toros de Perez Angoso. Il reçoit les deux oreilles de Ebrero, son premier toro, puis brinde son second à Capéa et lui sert ce discours : « maestro, je vous brinde ce toro parce que c’est le dernier que je vais tuer. Cette profession elle est pour des gens avec des huevos, comme usted, et moi, je m’en retire ». Il coupe deux autres oreilles et tchac le ciseau. Des toreros ont donné une solennité cohérente à ce protocole sacrificiel.     

Le douze octobre 1974 Diego Puerta torée sa dernière corrida, chez lui, à Séville. Un mano a mano avec son rival et ami Paco Camino. À qui il demande, à la mort du dernier toro, de bien vouloir lui couper son postiche. Ils avaient toréé ensemble plus de 270 fois, l’honneur était réciproque et le respect, mutuel. Il a ainsi honoré Camino qui l’a, de son côté et parce qu’ils avaient été si souvent de mèche, salué du coup de ciseau sacralisé. Que l’on pourrait éclairer du côté du bushido, le code des samouraïs. Le geste d’Aparicio serait, symboliquement, du côté du hara kiri, le suicide pour effacer une honte. Celui de Puerta du coté du seppuku, le suicide qui fait qu’un guerrier meurt avec son honneur quoique vaincu ; et, dans le cas de Puerta, vaincu par l’âge ce qui n’est pas une défaite. Eloy Cavazos, dans les arènes de Monterrey, c’est à sa fille Maria Angeles et en présence de ses deux fils qu’il a demandé d’accomplir cet acte du « corte de coleta » qu’il a comparé à une autocondamnation à mort. Puis Maria Angeles est allé offrir la touffe de faux cheveux à Mary, l’épouse d’Eloy. Intégrer sa famille à cette cérémonie des adieux est une tradition. Elle peut avoir les arènes pour cadre, la rage pour motif.
Le premier mai 2006 à Séville, Manzanares en larmes, et qui vient assez injustement de recevoir quelques sifflets, se fait subitement et dans une réaction d’amour-propre, couper el « añadido » par son fils torero, en larmes également. Ce châtrage professionnel peut aussi se dérouler dans l’intimité. Ce qui n’exclut ni le pompeux ni l’exactitude horlogère ni le souci arithmétique. Le vingt octobre 1890, à onze heures et dix minutes du soir exactement, dans sa maison de Grenade, Frascuelo commande à son épouse doña Alvarez de lui cisailler un cinquième de sa longue tresse, là naturelle, de cheveux. Puis c’est au tour de Manuela sa fille de prendre les ciseaux puis de son fils Antonio puis des deux filles de son ami le docteur José Calcera. Les cinq reliques sont, dit la chronique, recueillies dévotement, dans un silence de mort. Celui sans doute qui a accompagné la décision de Mazzantini, au cimetière espagnol de Mexico. Devant le cercueil ouvert de son épouse décédée brutalement il se fait trancher sa tresse de torero par son frère Tomás et l’attache à la main gauche du cadavre. Lagartijo « Petit lézard », alors veuf, avait choisi la discrétion : c’est sous un chêne, sans témoin, dans sa propriété de Cordoue, qu’une amie a procédé à la coupe de sa longue natte. Cette absence de tralala désole son coiffeur, le señor Miguel Carrasco Moreno, très fier d’avoir un « calife » du toreo dans sa clientèle. Mettez vous à sa place. Il lui organise alors un simulacre de cérémonie, devant des spectateurs, dans la propre maison du torero. Il invite un photographe à immortaliser le moment, avec lui en premier plan dans le geste auguste du vendangeur stylé de carrière torera.
Se couper la coleta est un rituel. Pas une règle. Joselito avait, sans l’annoncer,
programmé sa dernière course le treize octobre 2003 à Saragosse. Il est en habit tabac et or, il coupe deux oreilles, se retire dans le callejon sans autre cérémonial. ¿Cortarse la coleta? Non. « Je veux me sentir torero jusqu’à ma mort ». Juan Gomez « Juanito » lui aussi se sentait torero. Il fut un légendaire footballeur du Real de Madrid. Le vingt sept juin 1989 dans le stade de Malaga où il a terminé sa carrière, pour son dernier match et pour la gloriole, il se fera couper quelques cheveux. Par un type en lunettes noires et sapé comme le mannequin dans la vitrine de « Raphaël habille bien » : Curro Romero.

Jacques Durand

Article publié @ Atelier Baie  Photos © DR