Miracles à Pampelune

L’encierro de Pampelune est un lieu de miracles. Mardi à midi pour le tirage au sort des toros de Cebada Gago, la rumeur tue  allégrement l’australien Nicolas Headlam troué le matin par Jugue-plaza et arrache dans la foulée le bras du surfeur américain Dallas Hitchcook punaisé au biceps gauche  par ce même toro... Intubé dans son lit d’hôpital le mort réapparaît le lendemain en photo dans le journal  et le bras de l’américain a repoussé. De retour de l’au-delà le mort fait même une déclaration : «Quand je me suis vu vivant, ça m’a réjoui.»
L’encierro est un phénomène  paradoxal. Via la télévision ses images sont diffusées dans le monde entier mais ses règles sont toujours aussi méconnues. Ainsi, à l’entrée des arènes, Headlam a attiré l’attention du Cebada Gago qui passait tranquillement et qui dés lors, devant tant d’ignorance et de stupidité, s’est fait un devoir  d’obéir à sa vocation qui consiste à  donner  des coups de cornes. Ekerra, une agence  touristique locale, qui propose  une connaissance de l’intérieur de la feria de Pampelune et donc de l’encierro a du pain  pédagogique sur la planche du voyage organisé. Elle a ainsi reçu des demandes de touristes japonais d’accord pour participer à l’encierro. Ils voulaient le voir d’abord d’un balcon puis descendre dans la rue et courir  une fois les toros enfermés... D’autres japonais ont longtemps cru que les coureurs étaient des prisonniers que la cruauté des usages locaux lâchait devant les toros. Hillary Hemingway nièce d’Ernesto a découvert San Fermin cette année par Ekerra. Elle a trouvé qu’il y avait beaucoup d’ivrognes. On pourrait lui rappeler que son tonton ne suçait pas que des glaçons. Le savoir taurin est très empirique. Mardi à midi Diego Roblés, gourou de Padilla, tire la leçon du sanglant encierro du matin. Tout en regrettant les blessés, les morts et les manchots,  il rappelle que lorsque le matin les Cebada Gago donnent des coups de cornes  l’après midi, en général, ils attaquent, et s’en félicite pour son torero...
Mardi les peñas du  soleil  honorent la mémoire de Germán Rodríguez militant basque  tué par balle par les forces de l’ordre voilà 25 ans. Un danseur danse un aurresku sur le toit du toril. Les toros de Cebada Gago  sont très armés, se déplacent bien au début des combats mais finissent par s’éteindre en devenant défensifs... Ou ils ont perdu dans leur croisement avec le sang Nuñez del Cuvillo leur inlassable mobilité  ou pour leur propre décadence ils manquent de cavalier. Pepín Liria est affligeant devant Hormigon qui mérite mieux que ce twist vulgaire et accéléré fait de passe terminées par le haut. Pepín gigote démagogiquement sous le soleil sans gouverner jamais l’ardeur du toro. Le jeune et délicat torero navarrais Francisco Marco, dont la programmation dans cette course est contre nature, essaye d’imposer sa fine tauromachie. Mais Fijador coupe ses charges en donnant des coups de tête et le très beau Clavelito ne va jamais au bout de sa valse. Enfin le fameux Jugue-plaza massacreur  matinal d’anglo-saxons donne raison à Diego Roblés qui a toujours raison. Il attaque franchement sur les deux cornes mais asphyxie un Padilla hors du coup.
Mercredi  Santi  Begiristain le président de la course est un anti-corrida. Cependant il est conseiller municipal et le protocole exige qu’il préside. Ce qu’il fait, mal. Il refuse de remplacer le gros Remate, 600 kilos, qui préfère la station couchée et distribue sans discernement les oreilles. 3 pour Matías Tejela  ce qui fait au moins une de trop. Et celle donné à El Juli ? On peut la discuter. Les toros de Juan Pedro Domecq reviennent à Pampelune après 29 ans d’absence. Comparaison : le 8 juillet 1970 ils ne pesaient pas plus de 500 kilos, prenaient trois piques, renversaient les chevaux de picador, livraient aux toreros une guerre sans merci. Constat : la puissance ne vient pas des kilos mais de la race. Cette année les Juan Pedro Domecq choisis pour Pampelune pèsent plus de 600 kilos pour trois d’entr’eux, prennent chacun deux piques allégées comme des yaourts, ne chahutent aucun picador, se laissent manipuler. Pas le soleil  basque. Il siffle les banderilleros de Ponce. Leurs banderilles sont aux couleurs de l’Espagne. Aujourd’hui le soleil a fort à faire. Sous son nez le toro Locuelo saute dans la contre piste et un type de la barrière lui fait une passe qu’on dira haute avec son matelas pneumatique en forme de téléphone portable. El Juli aussi fait des passes téléphonées au bienveillant Locuelo. Sa faena est pleine d’assurance mais prévisible et sans intériorité. Une simple expertise. Deux bonnes séries à droite, une passe de dos pour attirer l’attention, des trucs spectaculaires et pour finir une estocade à fond mais sans véritable rectitude. Locuelo meurt au ralenti. Emotion. Une oreille. A mi corrida, à l’heure de la grande bouffe, Ponce  vient offrir à l’ombre une faena délicieuse, templée, très articulée, bien cadencée mais distanciée. Trop de vouvoiement entre lui et  Rasguero . Matías Tejela donne beaucoup de lui et Pampelune le lui rend. Sa tauromachie fringante devant deux Domecq impressionnants mais accommodants  est un composé de choses profondes et de postures plus factices. Il se déplace beaucoup entre les passes, se contente avec son premier toro  de séries de deux passes mais donne à voir aussi un certain fond. En particulier sur une intense série de la main droite, très enchainée devant le faible et noble Jimenito. Il s’attend à recevoir une oreille, le président lui en donne deux.
Jeudi matin  Pegajoso de Jandilla s’attaque à la famille Hermosilla.  D’un seul coup d’un seul il encorne, sans gravité le papa et le fiston...Mais pour les Hermosilla et selon  le marchand de journaux de la rue Estafeta qui connaît bien la maison le plus dur est à venir ; le retour à la maison et le sartenazo, le coup de poêle à frire que maman Hermosilla mijote pour son couillon de mari et son couillon de fils. Le matin à l’encierro les Jandilla ont fait onze victimes. Plus deux l’après midi. Rivera-Ordoñez et El Juli. Les  Jandilla sont bravos et nobles et avec du caractère et seul  César Jiménez s’y colle. Rivera-Ordoñez que l’on a vu le matin donner un coup de main aux dobladores pour rentrer les toros est fantomatique. Il ne prend jamais la gauche avec l’excellent Vicioso, abrège lamentablement devant Malabarista qui est un chic type sur les deux cornes.  Au menu de sa sortie : coussins et croutons. César Jiménez dira au revoir sous l’ovation malgré sa malchance avec son premier toro. Une mauvaise manœuvre de son péon et Sabihondo se casse la corne droite. Jiménez le liquide, le toro pas le péon, quoique. Plein d’une fureur froide il attaque Oculista à genoux avec des passes de la droite très templées. Toréer en colère ajoute de la torería aux toreros de caste comme lui. Alors il crache une exigeante série de naturelles. Voyant  le moral d’Oculista faiblir il change de répertoire et de terrain; passes à genoux, manoletinas, desplante en léchant muleta et épée. Sa rage se retire. Il rate l’estocade. Adieu les oreilles. Et El Juli ? Il ne profite pas de la qualité de ses adversaires. Il torée mécaniquement. Il tente de donner le change avec Pegajoso, torée de face pas en face. Donner le change semble être son seul souci. Il torée pour la forme. Ses trois chicuelinas d’automate devant Miliciano qui vient de loin avec franchise  recueillent le prix de leur industrie ; Quatre applaudissements machinaux. La faena qui suit est  standardisé. Une rengaine.
Un truc comme «jeux interdits».

Jacques Durand


Pamplona 2003