Lost Paradise

Dans « D’où viens-tu, Johnny ? » (1963), film de Noël
Howard, Johnny Halliday est un gentil chanteur yéyé, un peu rocker. Pas vraiment rebelle. À paris Il a de gentils copains, il chante de gentilles chansons, il fait de gentilles parties de billard électrique sous les yeux de sa gentille fiancée. Oh, pétard, mais c’est Sylvie Vartan ! Johnny est juste un peu turbulent. Il ne porte pas de blouson noir mais oui une veste à gros carreaux. Il ne chevauche pas une diabolique grosse Triumph Thunderbird comme Brando dans l’Equipée Sauvage mais, oui, une chouette mobylette Paloma Super Strada Flash 50 cm3. Mais voilà, il est, en toute innocence, pris dans une histoire de valise à trimbaler. Elle est pleine de drogue, il s’en aperçoit, jette la coke dans la Seine. Il ne mange pas de ce pain-là. Les trafiquants le recherchent. Pour leur échapper il part se réfugier « à la campagne » comme il dit. La campagne ? La Camargue. Le film, jusque-là en noir et blanc, vire à la couleur puisque le midi c’est coloré, non ? La Camargue c’est son pays d’origine. Il y a des parents et des amis bons comme la fougasse d’Aigues-Mortes. Les méchants l’y retrouvent, le séquestrent dans un vieux mas, lui foutent quelques baffes mais pim, pam, les amis camarguais le délivrent et mettent le mal en débandade. Voici Johnny sauvé par la Camargue « pays des gardians vigoureux, des taureaux sauvages, des chevaux indomptables mais sans danger et de la bouillabaisse d’anguilles » comme le dit Gustave dit le Shérif, personnage bonhomme à fort accent, joué par Fernand Sardou. Johnny qui y a désormais retrouvé la joie de vivre en chevauchant avec les gardians chante que pour lui « la vie va commencer » et qu’entre le soleil, ses amis, les chevaux, les taureaux, les apéros, les jolis oiseaux, les ersatz de flamenco -brève apparition de Manitas de Plata- « les années passeront sans bruit » dans cette carte postale camarguaise, pays unidimensionnel du bien et de l’enfance retrouvée, transformé pour l’occasion en yéyéland. Le sociologue Yves Santamaria* avait vu dans ce film « un processus de rectification de l’image de Johnny. » Image qui risquait, surtout après les incidents violents de son concert du 22 juin 63 place de la Nation, d’être assimilée à celle des blousons noirs.  Donc en Camargue et dans tous les sens du mot, pour Johnny ça gaze et la première du film se fera devant un public d’anciens combattants et de ministres. Dans l’Express le critique Jean Louis Bory regrettera que le twist se soit rangé « du côté de la famille et de la patrie. »

Même effet de lessiveuse pour « Chien de Piques » (1960) un western d’Yves Allégret. Patrick (Eddie Constantine), un ancien gangster américain, a retrouvé la draille du bien et la voie de l’honnêteté du côté du Paty de la Trinité. Le voici dorénavant à cheval sur les principes.  En Camargue il lessive son casier judiciaire, élève des taureaux et se frictionne avec les riziculteurs parce qu’il faut bien laisser entrevoir le pays réel. Mais voilà qu’apparait Robert (Raymond Pellegrin), un ancien ami. Lui sort de prison et n’a pas abandonné le chemin des coups tordus et la roubine de la délinquance. Sur une musique de Michel Legrand il y entraine Paco (Pierre Clémenti) le jeune gardian que Robert considère comme son fils et, un jour d’abrivado, monte une attaque de banque. Où le malheureux Paco est tué. Robert s’enfuit. La Camargue pays des nobles aspirations le rattrape. Elle l’aspire dans un marais. Il va y mourir étouffé. Patrick l’achève à la mitraillette.
Dans « Heureux qui comme Ulysse » (1969), film d’Henri Colpi, la Camargue devient la terre promise de l’accord avec la nature et le monde animal. Ce, au prix de la désobéissance.  Sur ordre de son patron, Antonin (Fernandel), vieux garçon de ferme, doit, la mort dans l’âme, conduire son ami le cheval de Camargue Ulysse aux arènes d’Arles. Où il doit servir de cheval de picador et sans doute s’y faire massacrer puisque le ressort du scenario joue sur cette vision caricaturale de la corrida. Le road movie à travers la Provence, les Alpilles, la Crau, la Camargue se transforme en odyssée vers l’indépendance, le bonheur et la liberté. Antonin et Ulysse se retrouvent, pour la funeste corrida, dans les couloirs noirs des arènes. Ils apparaissent comme le sinistre vestibule de l’enfer. Antonin voit un cheval se faire encorner. Lui qui a toujours vécu sous les ordres, désobéit, sauve Ulysse, se sauve avec lui, s’enfuit en Camargue. Les deux, liés par une amitié réciproque, quittent sans regret ce monde de la ville et de ses jeux cruels. Ils quittent aussi ce monde d’asservissement des hommes par les hommes, des animaux par les hommes. Comme Johnny, Ulysse, a retrouvé son pays d’origine et le vivre libre. Il a rejoint son Ithaque paradisiaque. Un bout du monde fait de vent, de roseaux, de sable, de sansouïre.  


Jacques Durand

Camargue et cinéma texte pour expo et catalogue " Western" des rencontres photos d’Arles

*Yves Santamaria « Johnny, sociologie d’un rocker. » Cahiers Libres. 2010