Juan Ávila


Puçol, 17000 habitants un « pueblo » agricole et industriel de la huerta au nord de Valencia a deux statues. L’une près du stade représente le footballeur local José Claramunt capitaine du Valencia F.C et de l’équipe d’Espagne dans les années 70. L’autre, avenue de Valencia, figure un gros toro aux cornes nues sortant de sa cage. Lâcher dans les rues des toros de combat ou des « bous embolats » des toros avec au bout des cornes des boules imprégnées de combustible et auxquelles on met le feu est une tradition de cette région que des historiens font remonter à l’antique guérilla contre les carthaginois. Des coureurs de toros dans les rues, des « peñas » des sociétés taurines et des coups de cornes Puçol en regorge. Vicente Ávila négociant en fruits et légumes soulève sa manche et montre sa cicatrice. Son fils Vicente pareil. Mais de vrais toreros originaires de Puçol ? Pas l’ombre. Samedi en fin d’après-midi en regardant à la télévision les toros mansos et assassins de José Escolar martyriser 3 modestes toreros pour la première corrida de la San Isidro de Madrid ni les deux Ávila ni Vicente Medina directeur de la poste et président de la peña Juan Ávila ni Jorge Garcés professeur de sciences politiques à l’université de Valencia et son vice-président ne retrouvaient le nom de ce puzolenc qui aurait été novillero. Mais cette pénurie est maintenant caduque. Puçol a un torero : Juan Ávila, 18 ans, le cadet des cinq frères Ávila et demain dimanche il débute en novillada avec picador dans les arènes de Valencia.
Grand jour. Les bars de Puçol ont placardé l’affiche de l’évènement : « Anem a estar tots amb ell » « on va tous être avec lui. » L’affiche rédigée en valencian précise que demain « dans la plaça de bous de Valencia » Juan étrennera un habit de lumières blanc et argent et la cape de paseo avec brodé au dos l’image de la vierge au pied de la croix patronne de la ville. L’habit et la cape lui ont été offert en février lors d’une cérémonie présidée par José Maria Iborra maire de la ville par sa « peña » Puis l’habit et la cape ont été bénis à l’église « Los Santos Juanes » par Don José Cabo curé de la paroisse. Qui s’est fendu en valencian d’un petit discours. Il a dit qu’avoir un torero était une source de joie
pour la communauté. Il a vanté « la vaillance qu’il démontrait », a précisé que depuis tout petit il voulait être torero, qu’il « faisait connaître le nom de Puçol » et que, donc, « adelante, en avant. » José Cabo est aficionado et son torero est Enrique Ponce originaire du village voisin de Chivas et qui d’ailleurs a commencé à se faire connaître à Puçol en remportant le concours pour aspirants « Monte Picayo cherche un torero » organisé par l’ensemble hôtelier de l’hôtel du même nom. Ponce n’avait pas dix ans. Il n’était pas plus haut qu’un verre de horchata de chufa. Juan Ávila devait en réalité faire ses débuts avec picadors le 13 mars pour les fallas de Valencia.  Don José Cabo n’aurait pas pu y assister. Ce jour-là il devait consacrer un séminariste. Les attentats du 11 mars ont fait reporter la novillada à dimanche dernier et Antonio dit « El Chichi « n’arrêtait pas samedi de vendre des billets chez lui dans son bar siège de la peña, où les sachets de sucre indique qu’El Chichi « est un torero qui n’a jamais débuté. » Aux murs des photos de Juan Ávila sponsorisées par l’auto-école Goya, des briquets à son image, un dessin d’enfant le représentant en train de toréer. La légende : « Juan Ávila a toréé à Valencia, quelques-uns d’entre nous sont allés aux arènes avec notre papa. Quand il était petit il venait à cette école. » 
Juan Ávila fait un tabac à Puçol. Il est tombé dans les toros en les voyant d’abord courir dans les rues puis à 12 ans s’est inscrit à l’école de tauromachie de Valencia. Il y est resté quatre ans, a toréé des vaches dans les tientas, puis à partir de 16 ans des novillos et a remporté la finale des écoles de tauromachie à Albacete. Maintenant il est dirigé par Luciano Nunez ex matador qui fut banderillero de Manzanares et José Tomas qui sont par ailleurs les modèles revendiqués de Juan. L’engouement de Puçol pour « Juanito » est comparable « et même plus intense » précise Vicente Medina, que le phénomène social provoqué par le torero El Soro dans les années 70, dans son village valencian de Foios. Le 12 octobre 2003 deux trains spéciaux bourrés de 800 puzolencs se sont déplacés pour aller voir leur torero toréer une becerrada, une novillada sans picador à Valencia. Pour dimanche la mairie a affrété un train. Prix de l’aller-retour : 1 euro. Mais beaucoup ne pourront pas venir. Dimanche est aussi un jour de premières communions. Dimanche 16h30 plus de 600 puzolencs ont envahi le train spécial. José l’agriculteur explique qu’un torero manquait à la forte passion pour les toros de Puçol. Emilio Rochet élagueur d’arbres a mis la cravate et porte les calicots. Ils seront déployés dans les arènes pour, toujours en valencian encourager Juan : « Juan, on est tous avec toi. » Juan Miguel retraité de la fabrique de bonbonnes et d’appareils au gaz est évidemment du voyage. Il se présente comme « poète rural auteur de 331 poèmes et de 32 chansons. »  Il a écrit les paroles, mises en musique par un musicien du pueblo, du paso doble dédié au torero : « Puçol de valencia/a un torero/Ávila est son nom/un grand maestro en piste. » El Chichi s’active. Il vend les casquettes et
les mouchoirs blancs avec l’image du torero ; Emilio montre par la fenêtre les orangerais et les champs : betterave, patates, oignons, salades, carottes, et vante au journaliste étranger en lui faisant toucher ses mains empierrées de cals la finesse de la terre de la huerta : « pas un caillou, légère comme du sable. » 
Dimanche est un grand jour pour Puçol, pour la province et pour Valencia. On y promène l’effigie de la Virgen de los Desamparados, la protectrice du pays valencian appelée aussi le généralissime depuis qu’on lui attribue la débandade en 1810 de l’armée napoléonienne. 25000 personnes se pressent autour d’elle. On se lance sur la foule pour toucher sa robe. Beaucoup lui demandent d’aider la Valencia Football Club à battre le Séville F.C à Séville en fin d’après-midi et devenir ainsi, devant le real de Madrid, champion d’Espagne. A 20h30 Juan Ávila sort en triomphe, avec Morenito de Aranda de la plaça de bous de valencia. Après une faena ferme et tonique il vient de couper 2 oreilles à Cantaor un novillo bravo et noble de Luis Algarra. Il pleure. Des gens de la peña sautent en piste l’emporte sur leurs épaules par la grande porte. On lui a mis un drapeau valencian autour des épaules. Le Valencia FC mène déjà un à zéro à Séville. On l’a su tout de suite par l’ovation qui a éclaté pendant la corrida. Les aficionados tout comme les fidèles qui dans les rues pour son retour à sa basilique entouraient la « madre de deu », la patronne de la ville en lui hurlant des compliments avaient le transistor à l’oreille. Valencia a fini par gagner 2 à 0. Très tard dans la nuit on a entendu les chants des supporters et les explosions de pétards. Pas de fête à Valencia sans les pétarades et l’odeur de la poudre. Et dieu sait et sa mère également si ceux de Valencia aiment la fête. Dans son église de Puçol, José Cabo le disaient le matin en valencian lors de son homélie. Il vantait « le caractère extraverti et festif des valencians » tel qu’il se manifeste pleinement dans les « festas dels bous » dans les fêtes avec les toros.  

Jacques Durand 
Publié dans Libération