5 juin 2009. Luis Francisco Esplá, le toro Beato de Victoriano del Rio, Madrid, 2 oreilles, 2 vueltas . Décollage de la faena, la main à la barrière. Puis trois séries de quatre, cinq passes de la droite, deux séries de la gauche. Le tout sans perdre un pas, en aspirant la charge de Beato, en l’envoyant derrière la hanche pour la reprendre. Chaque série paraphée avec un remate différent. La consistance, la cadence, le tempo, l’exactitude. Comme du Bach. Ou une architecture classique, avec du rythme. Pas de déchets. L’essentiel de l’essentiel. Faena sans cholestérol, strictement adaptée au toro et pas l’inverse. Du strict mais sans le sec du strict. L’effusion y circule. Une sorte de grâce algébrique. «L’al-jabr» arabe, l’agrégation rythmée des éléments épars. Un concerto pour muleta et 620 kilos de bravoure. Aucun pathos, aucune redondance. On a toujours aimé cette élégance morale d’Esplá : il dédramatise le combat avec le toro. On dit volontairement avec plutôt que contre. Il ne s’appuie pas sur ces lourds ressorts tragiques que d’autres manipulent avec plus ou moins de lourdeur. Du toreo il en fait un jeu. On voit la faena à la télévision, d’un café de petite Camargue. L’émotion passe. Malgré son nom l’écran ne fait pas écran. Dans la salle, les exclamations, la ferveur, une sorte de gaieté fine et éblouie. Elle pousse à boire. On boit du vin. Non pas pour se saouler mais pour célébrer. On célèbre Luis Francisco Esplá, Beato, leur belle œuvre commune sur quoi la nuit même hésite à tomber. Sur ce, il arrête sa carrière.
Jacques Durand