La petite fille ? Aurélia,
10 ans.
Elle est la fille du directeur des taxes municipales. Le toro ? «Liebrero»
un Sanchez-Cobaleda. La date ? Le 8 juillet 1939. Le Lieu ?
Pampelune. Les circonstances ? Liebrero est isolé et en retard. A la hauteur
des guichets de la plaza de toros un pioupiou, pour déconner, l’a cité de
derrière la barrière. A cette époque il n’y avait sur l’encierro de Pampelune
qu’un seul «vallado» de
protection. Liebrero charge, traverse les planches. Aurélia était sur son chemin. En 1939 Pamplona renoue avec l’encierro après trois ans de
suspension pour cause de guerre civile. La photographie de Juan Galle dit ça
d’une certaine façon. Si on oublie le toro, si on se fixe sur la fuite d’Aurélia,
des femmes autour et sur les gens par terre, cette image d’une panique pourrait
être celle d’une population civile prise sous un bombardement. Celui de
Guernica par exemple. Retour à l’image.
On connaît la suite. Clara la mère d’Aurélia
vole à son secours. Liebrero l’encorne dans la fesse, l’aine et la laisse étendue
devant les guichets. Luis, 16 ans, frère aîné d’Aurélia vient au secours de sa mère
et réussit à l’amener dans l’infirmerie des arènes. Puis Clara sera transférée
à l’hôpital d’où elle sortira 34 jours plus tard. Liebrero poursuit son chemin.
Sur une autre photo il menace un groupe d’hommes et de femmes coincé contre les
guichets. Il est à un mètre d’eux. Puis
au pas il s’avance, toujours menaçant, vers la porte principale de la plaza où se trouve Cipriano Huarte, 25
ans, un garde civil. Huarte sort son pistolet de service mais au moment de tirer et comme dans un cauchemar le
chargeur tombe par terre. Liebrero est à deux ou trois mètres de lui.
Lentement, pour ne pas provoquer sa charge, Huarte se baisse, reprend son chargeur, arme, tire, tue le toro
d’un coup.
Cette angoissante image a valeur d’allégorie.
Elle pourrait
être la parabole de la figure du toro échappé et de sa projection dans les récits et les rêves et l’allégorie de la bestialité menaçant l’innocence. Le toro échappé est ainsi un thème récurrent de l’histoire locale des villages du sud rhodanien habités par la tradition camarguaise de l’abrivado ou de la bandido. De Lansargues à Mouriés vous rencontrerez toujours quelqu’un pour vous raconter l’histoire du taureau échappé qui pénètre dans une maison et surprend une femme enceinte, le plus souvent en train de moudre du café. Détail certainement révélateur, pour rester dans le monde de la référence photographique, mais dont on se gardera bien de faire l’exégèse. Mais, épilogue général de ces narrations dûment certifiées véridiques «vé, té comme je vous vois», le toro qu’il faut là orthographier taureau, passe tranquillement son chemin et épargne sa victime et le bébé qui est en elle et le moulin à café qui joue on ne sait quel rôle. Ici pas de dégâts sans doute parce que le taureau de Camargue est vécu comme bienfaisant à l’inverse du sauvage «Liebrero» qui se rue sur la petite Aurélia dans ce cliché à forte densité onirique. Le toro effrayant ne déboule pas seulement sur les rues pavées de Pampelune ou dans les hantises orales de quelques villages languedociens et provençaux. Sa présence terrifiante s’impose dans les rêves de tout un chacun que l’on soit indifféremment natif de Romorantin ou de Barbate.
être la parabole de la figure du toro échappé et de sa projection dans les récits et les rêves et l’allégorie de la bestialité menaçant l’innocence. Le toro échappé est ainsi un thème récurrent de l’histoire locale des villages du sud rhodanien habités par la tradition camarguaise de l’abrivado ou de la bandido. De Lansargues à Mouriés vous rencontrerez toujours quelqu’un pour vous raconter l’histoire du taureau échappé qui pénètre dans une maison et surprend une femme enceinte, le plus souvent en train de moudre du café. Détail certainement révélateur, pour rester dans le monde de la référence photographique, mais dont on se gardera bien de faire l’exégèse. Mais, épilogue général de ces narrations dûment certifiées véridiques «vé, té comme je vous vois», le toro qu’il faut là orthographier taureau, passe tranquillement son chemin et épargne sa victime et le bébé qui est en elle et le moulin à café qui joue on ne sait quel rôle. Ici pas de dégâts sans doute parce que le taureau de Camargue est vécu comme bienfaisant à l’inverse du sauvage «Liebrero» qui se rue sur la petite Aurélia dans ce cliché à forte densité onirique. Le toro effrayant ne déboule pas seulement sur les rues pavées de Pampelune ou dans les hantises orales de quelques villages languedociens et provençaux. Sa présence terrifiante s’impose dans les rêves de tout un chacun que l’on soit indifféremment natif de Romorantin ou de Barbate.
Paquirri a raconté ce
rêve du
toro immortel qu’il affronte, qui le rend fou, l’attrape à plusieurs reprises,
l’oblige à sauter dans le callejon, l’y poursuit jusqu'à ce qu’il entende des
coups de pistolets. Il pense que la
Guardia Civil a tué son bourreau. Les mules de l’arrastre semblent
l’emporter mais non il s’agit d’un autre toro. Il s’enfuit alors dans les rues
de cette ville inconnue où il torée et le toro, le toro de toujours, est
derrière lui, à sa recherche. On sait qu’il finira par le trouver un jour de
septembre dans une petite ville au nord de Cordoue. Tomás Campuzano a rêvé lui d’un Miura qui
allait le chercher jusqu'à son hôtel. Ca se passe à Huesca. Il dort. On tape à
la porte. Il pense que c’est la cuadrilla qui revient du sorteo. Il ouvre. C’est
un toro noir et qui se tient debout. Tomás s’enfuit et s’enferme dans la salle
de bain. Le Miura force la porte. Tomás se jette sous le lit. La tête du toro
apparaît. Le toro le coince, et commence à l’égratigner comme s’il possédait
des griffes.
A une époque où il
toréait beaucoup Esplá rêvait souvent d’un toro invisible et qui voulait lui
arrachait la tête.Ce toro invisible a existé. A Pampelune justement.Le 7
juillet 1884 un homme se promène dans la foule
qui a envahi la calle Estafeta. Il porte sur son dos les deux agneaux
qu’il vient de faire rôtir. Pour éviter les gouttes de graisse qui pourraient
tacher leurs habits, les gens s’écartent,
un mouvement de foule se fait
puis qui s’agrandit en remous. Quelqu’un
crie alors qu’un toro s’est échappé. La panique s’installe, des femmes s’évanouissent,
des vitrines de magasins sont brisées, des enfants sont piétinés. On n’a pas de
photographie de l’incident. Est-ce
qu’on peut photographier une rumeur ?
Oui,
la rumeur d’un toro persécutant une petite fille comme l’ogre dans la forêt des
contes.
Jacques
Durand