Pour faire le malin on détournera le titre
du livre du philosophe Alain Badiou en posant la question qui tue: de quoi,
en tauromachie, Dax est-il le nom ? On ne tue rien, on ne meurt pas, on ferme les yeux,
on réfléchit trente secondes. Des
enchantements font surface. Des enchantements en corinto y oro, bleu ciel et
or, lilas y oro, grana y azabache, bleu myosotis et or, vert émeraude et or,
solferino y oro, miércoles de ceniza y oro. Mercredi des
cendres et or à Dax ? Non. Pas raccord, jamais vu. Ce serait une faute de goût. Une bourde de valets d’épées. Des
noms surgissent dans le désordre : Ortega Cano fêté par le paso doble
Coralito interprété par la Nèhe, Yiyo, Paco Ojeda, Paquirri, José Tomás un jour
de septembre où l’été faisait semblant de recommencer, Rincón, Manzanares
father un jour de mano a mano et de toros de Manolo gonzález/Sanchez Dalp,
Enrique Ponce beaucoup plus qu’un jour. On en oublie sans doute. On s’en excuse.
Enfin, pas vraiment.
Derrière les paupières,
se réveille le vrai charme d’un jour de belle corrida à Dax et le jaï-alaï, le jeu allègre et
harmonieux du toreo mélodique qu’elle aime, qu’elle suscite, qui a formé son
palais, qu’elle savoure et qui la fait ronronner. Avec cette impression presque
physique que le public dacquois, lorsque
ça marche selon ses goûts, qui vont malheureusement jusqu'à Conde, boit du
petit lait, que l’expression a été créée pour lui. C’est le coté chat de Dax, même si
la ville doit à un chien sa renommée thermale. Du coup on n’est pas certain de
ne pas avoir entendu, dans le concert des ovations, des miaulements de
délectation surgir des 45 centimètres alloués à chacune des 8000 paires d’yeux
posées sur leur cul landais et rarement montois.
L’attente du ravissement remplit tous les jours ces arènes vaguement
hispano-mauresques d’une coquetterie ostensible quoique calculée avec discrétion. D’où cette dévotion pour Ponce. Le jeu du chat et de la souris que sa tauromachie,
sa technique, son art, son toucher, son phrasé déploient avec les toros a souvent éveillé et même incarné ce penchant
pour les choses enjôleuses, souplement
sensuelles ou vice versa et pour
ce frou-frou dont l’ego de Dax raffole. Dax devrait nationaliser le paso
doble El Gato Montés, le jouer à chaque corrida, le faire apprendre dans ses écoles.
Il parle d’elle et de sa plaza de toros un jour de corrida.
« El redondel
Bajo el sol parece un
clavel,
Y es al empezar
Igual que un altar
Color de miel.
Sueña el clarin
Y sale el toro. »
La feria de Dax ? Bien sur, comme partout,
des frustrations, des échecs, des trucs ratés ou pas aboutis des colères, des
huées, des engueulades -Desgarbado- mais,
au cœur du raffut accablant du 15 août, il
faut bien reconnaître que le chic dacquois propose ce break délicieux, ces parenthèses rafraîchissantes qu’on a du mal à appeler faenas. Des
«travaux ?» Non, de beaux moments, subtils, exaltants, longs en bouche
qu’on garde dans soi et qui macèrent. Au
bout de la parenthèse et de l’après midi de toros, des gaietés fines, éblouies,
volubiles ou non, rêveuses ou assoiffées et pas seulement de convivialité, traversent
dans l’autre sens le parc Théodore Denis. Et
lentement, comme on déguste. Le
salero, le glamour de Dax ? Une invention des dacquois ? Un lieu
commun pour prose de syndicat d’initiatives ? Un prétexte de plus pour se rengorger
en avançant ce foutu «chez nous à Dax»
qui irrite tant les tribus voisines ?
Pas vraiment. Exemple : «Chez nous à Dax cette année aucun toro de Domecq.» Pas un Domecq ?
Pas de figuras alors ? Si, des figuras : Morante, Manzanares, Ponce
Cid, Juli, Perera…Fortiche.
Ils
retombent toujours sur leurs pieds. Gatos. Des chats.
Jacques
Durand