Heno de Pravia ou la caresse espagnole

La caresse espagnole, ou le «Bahamontés», à cause de la capacité de ce coureur cycliste à gicler en haut des cols, se pratiquera à Séville dans une chapelle latérale de la cathédrale, à droite en entrant, face au tombeau de Christophe Colomb, caché derrière un confessionnal à croisillons de bois, juste de l’autre coté du Patio de Naranjas où, sous les dalles, sont enterrées les têtes coupées et les corps suppliciés de quelques condamnés à mort. Il fera chaud. Ce sera en fin d’après-midi, en septembre, lorsque les pneus des taxis chuintent sur le goudron  fondant. On aura, au préalable, longé l’édifice sur le trottoir muni de grosses chaines où les chevaux des calèches attendent les touristes dans une épaisse et lascive odeur de crottin frais et chaud. Un office religieux servi pour les missionnaires des Philippines se tiendra au fond de la cathédrale, à gauche. Devant une faible assistance. Son lointain et continu bourdonnement est nécessaire à l’exacte exécution de l’acte. Un bedeau se doutera vaguement de quelque chose. Sans plus.
Mais l’ombre d’une sévère réprimande, d’un éclat de voix et d’un scandale est également indispensable. Pour la pureté de la caresse les deux partenaires garderont les mains derrière le dos. Il n’y aura ni attouchements ni baisers, rien. L’homme introduira son sexe entre les seins en poire de sa partenaire, sans lui ôter son chemisier boutonnée jusqu’au col, par en dessous. L’homme sera natif d’Algesiras. Son physique importe peu. Sa tenue non plus. La femme sera  une visiteuse, une touriste brune et bronzée parfumée à l’eau de Cologne Heno de Pravia, ne parlant pas la langue, entrée dans la Giralda pour se mettre à l’abri du soleil afin d’y attendre son mari  parti chercher les billets de corrida oubliés à l’hôtel Murillo et qui s’égarera dans le quartier de Santa Cruz sans pouvoir demander son chemin. Il n’y a personne, il fait encore trop chaud. Les  va-et-vient du sexe de l’habitant d’Algesiras entre les seins de la femme brune ajusteront leur fréquence au rythme des grelots des chevaux passant dans la rue ou secouant leur cou de l’autre coté de la cathédrale. L’éjaculation silencieuse devra coïncider avec la saccade d’un tremblement de grelots et avoir la même durée que la media veronica de Rafael de Paula vue la veille. À ce moment précis la femme apercevra son mari qui la cherche du coté de l’office pour les missionnaires des Philippines. Elle expliquera les taches sur son chemisier par le geste maladroit d’un garçon de café curroromeriste lui renversant dessus un verre de horchata de chufa au bar La Giraldilla, dont le nom l’avait attirée. Puis elle lui dira d’un ton sec qu’il a beaucoup tardé , qu’elle ne l’a pas attendu pour visiter la cathédrale qui d’ailleurs ne vaut guère le détour et que vite on va rater le début de la course .

Jacques Durand

Nouvelle de 1993 publiée dans La Caresse Espagnole



Tableau d'Emilie Chevrier