Aujourd'hui comme chaque 25 mars, un paso doble taurin va
sonner au pied de la montagne Pandura del Oso, au seuil du «Nord sauvage» près
de Monterrey, au Mexique, au pays des Huaxtèques. A plus forte raison ce jeudi,
où les membres des clubs taurins qui portent son nom célèbrent le cinquantième
anniversaire de la mort du torero mexicain Hector Saucedo. Le 25 mars 1954, le
vol Tijuana-Monterrey s'écrasait contre la Pandura del Oso. Pas de survivants.
Parmi les victimes carbonisées, une tête, un bras, un morceau de tronc et un
jeu d'épées. Ceux du matador Saucedo, le «hippie gitano», selon Fernando Vinyes
(1). Le reste ? Envolé. Comme la fausse rumeur qui suivra. Saucedo n'a pas pris
l'avion, il vit ailleurs...Le 9 novembre 1947, il s'était imposé en faisant gracier
le novillo Chismoso. Et deux ans plus tard, toujours à Monterrey, il avait pris
l'alternative. On a écrit de lui que ses excentricités en piste annonçaient
celles d’El Cordobés. Un jour, à Monterrey, poursuivi par un toro qu'il vient
de banderiller, il saute sur le sommet de la barrière, il marche comme un
funambule pendant plusieurs mètres pendant que le toro le poursuit, en bas, sur
la piste, en donnant des coups de tête pour le déséquilibrer.
Il était à la ville comme dans l'arène : anticonformiste,
spectaculaire, échevelé, noceur, jamais posé. Comme il jugeait la tradition
absurde, il ne portait pas de coleta, de mèche de cheveux postiche et, en tant
qu'évangéliste, ne passait jamais par les chapelles. Avec ses confrères, il
pouvait pratiquer un humour assez vitriolé. Un jour, avant une course, il avise
l'ambulance devant les arènes, va s'allonger dedans et interpelle le torero
Perlita, qui est une grande asperge :
«Moi, j'y entre, mais toi, grand comme tu es, non. Attention parce que si le
toro t'attrape, ils devront t'enterrer sur place.» Sa dégaine tranchait sur le maintien chic et raide des
toreros de l'époque, toujours sur leur trente et un, comme Arruza. Lui,
laissait pousser sa barbe, se nouait une chemise écarlate sur le nombril,
s'attachait des pantalons de vacher avec une vague ceinture en tissus et
déboulait ainsi, en chaussures de sport, dans les hôtels taurins. Vinyes raconte qu'après une corrida à Ciudad Juarez, où
Saucedo venait de couper deux oreilles et une queue, Arruza l'interpella sur sa
tenue. «Là non, Hector. Que tu me donnes
le bain en piste, passe encore, mais là, devant les filles, non. Bois un verre
avec nous.» Le verre durera deux jours et deux nuits.
Hector Saucedo le bohème
aimait la bringue et savait toréer les nuits jusqu'à les blanchir. Invité à
Hollywood par le boxeur Lauro Salas, il y était resté plusieurs mois avant de
revenir au Mexique, un contrat en poche pour faire un film et la fille d'un
pétrolier texan au bras. S'apercevant que son Hector était marié, l'héritière voudra
se suicider en jetant sa voiture contre un mur, avec lui dedans. Il fera une belle carrière,
surtout dans les villes du nord du Mexique, à Tijuana, Monterrey, Ciudad
Juarez, où les plazas se remplissent le week-end de dollars et d'Américains
attirés par la fiesta mexicaine. A Tijuana, il a eu toréé pour 40 000 pesos
quand les figuras de son époque n'en empochaient que 14 000. Et à Mexico ? Un grand coup de corne dans le bas-ventre
le 18 mai 1947, deux oreilles et une queue en 1948 et une belle fâcherie avec
le docteur Gaona, responsable de la Monumental et qui l'y interdira pendant
quatre ans. Saucedo ira sonner à sa porte : «Alors tu me programmes dimanche ou
non ?» Non. Il lui foutra deux baffes. Puis ils finiront par se réconcilier. Saucedo n'a jamais toréé en Espagne. Il lui aurait fallu
se plier à l'usage et reprendre l'alternative. C'était un insoumis, un
individualiste et un fugueur.
Jacques Durand
(1) Mexico diez veces llanto, Fernando Vinyes,
édition Espasa Calpe.