Le
matador Julio Robles, décédé d'une péritonite à 49 ans, dimanche 14, avait un
tic lorsqu'il toréait : il desserrait légèrement avec deux doigts le col de sa
chemise, avançait le menton comme Popeye et allongeait son cou comme une
tortue. Selon son picador, Jose Caneva c'était à cause de ses
vertèbres. Il les avait fragiles. Timador le savait-il ? Le 13 août 1999 à
Béziers, le toro Timador de Cayetano Muñoz le fauche a la sortie de sa
quatrième veronica : lésion du rachis cervical entre les cinquième et sixième
vertèbres. Robles est paraplégique. Il retrouvera peu à peu l'usage de ses
membres supérieurs, mais il vivait depuis dans une chaise roulante avec le bas
du corps totalement paralysé, ce qui ne lui a pas permis en janvier de se
rendre compte de la gravité de son état. Il déclarait récemment : «Tôt ou tard, je sais que Dieu m'aidera à
marcher. Je ne mourrai pas s'en me remettre devant.» Comprendre :
devant un toro. A Libération qui était allé le voir deux mois après
son accident, il expliquait que la lutte contre les toros est tellement dure
que cette dureté lui permettait de mieux lutter pour surmonter son malheur.
Julio Robles de Fuente de San Esteban, près de
Salamanque, en vieille Castille,était un pur torero charro, mot qui
désigne d'abord un paysan de Salamanque et concept qui signale une façon d'être
et de se tenir sur cette terre rigoureuse de chênes verts, de vieux murs en
pierres sèches, de toros de combat et de cochons noirs, d'étés étouffants,
d'hivers très long et qui a donné à la tauromachie un torero boréal : El Viti. Julio Robles portait dans sa silhouette mince et dans sa tauromachie classique
comme la quintessence de ce pays rugueux. Il véhiculait aussi le fumet du campo
charro jusque dans son nom de rouvre. Julio Robles : le chêne. Ce type
aurait pu s'appeler motte de terre, personne n'aurait ri. Dire que Julio Robles
portait le campo charro dans sa science tauromachique n'est pas une métaphore. Entre
Matilla de las Canos, Calzadilla de Los Mendigos ou Martín de Yeltes, dans les
matinées glacées de février qui vous jettent gelé jusqu'aux yeux autour des
grosses tables de vin, de charcutailles et de conversations taurines sans
fin, Julio Robles a toréé en tienta des centaines de vaches
bravas ou d'étalons sélectionnés. Le campo charro, ses dynasties entrecroisées
d'éleveurs-paysans et leurs familles de vaches bravas, il les radiographiait
dans ses poignets.
Ce n'est pas un hasard si ses grands moments il les a connus
avec des toros issus de ce campo. Julio avait partagé plus d'une fois les feux
de bois dans les grandes cheminées et les hectomètres de morcilla, de boudin, avec tous les Galache, les
Cobaleda, les Perez-Tabenero, les Fraile, les Matías Bernados, etc... qui les
élèvent sur le granit. Il met son premier habit de lumière à Villavieja de Yeltes, et pour sa première
novillada avec picador il combat des novillos de Maria Lourdes Martín de
Pérez-Tarbenero. Dès septembre 1972, il coupe à Salamanque les deux oreilles et
la queue de Zambombito, toro de Dionisio Rodríguez de ce même Villavieja de
Yeltes. Il a pris l'alternative à Barcelone le 9 juillet 1972 avec le toro Clarinero
de Juan Mari Pérez-Tarbenero et il l'a confirmée à Madrid l'année suivante avec
Ternote d'Eusebio Galache. En 1983 il connait sa première sortie en triomphe à
Madrid grâce Cigarrero, un Fraile, et une seconde sortie à hombros en
1985, grâce aux toros de Matías Bernados «El Raboso.»
Quant à la fameuse corrida dite des «quites» du 27 mai 1986 à Madrid, c'est grâce au toro Carapuerco, 660 kilos, de Matías Bernados, qu'il a pu se mesurer dans une bataille intense et cape en main avec son ami Ortega Cano. Quite par chicuelinas de Robles, réponse par veronicas de Cano ; nouveau quite par rogerinas de Julio et intervention de Cano par gaoneras. Sa meilleure saison il l'a l'a réalisera en 1989, un an avant que Timador casse tout sur son passage. Cette année là, avant de triompher à Pampelune et à Madrid, il connaît un grand succès à Séville, mais le stupide chauvinisme sévillan l'empêchera de sortir par la porte du Prince. Et en France ? Il a eu ses meilleurs après-midi à Dax et à Bayonne. A Nîmes en 1988, il est injustement sifflé par un public qui n'avait d'yeux que pour Ojeda. Des aficionados lui écriront pour s'excuser. C'était un torero qui inspirait ce genre de réaction. Robles était de toute façon le torero de Salamanque et des arènes de la Glorieta, nom qu'il a donné à sa propriété.
Quant à la fameuse corrida dite des «quites» du 27 mai 1986 à Madrid, c'est grâce au toro Carapuerco, 660 kilos, de Matías Bernados, qu'il a pu se mesurer dans une bataille intense et cape en main avec son ami Ortega Cano. Quite par chicuelinas de Robles, réponse par veronicas de Cano ; nouveau quite par rogerinas de Julio et intervention de Cano par gaoneras. Sa meilleure saison il l'a l'a réalisera en 1989, un an avant que Timador casse tout sur son passage. Cette année là, avant de triompher à Pampelune et à Madrid, il connaît un grand succès à Séville, mais le stupide chauvinisme sévillan l'empêchera de sortir par la porte du Prince. Et en France ? Il a eu ses meilleurs après-midi à Dax et à Bayonne. A Nîmes en 1988, il est injustement sifflé par un public qui n'avait d'yeux que pour Ojeda. Des aficionados lui écriront pour s'excuser. C'était un torero qui inspirait ce genre de réaction. Robles était de toute façon le torero de Salamanque et des arènes de la Glorieta, nom qu'il a donné à sa propriété.
Dans les années 80, Salamanque était partagé en roblesistes et capeistes,
partisans de l'autre torero du cru, Pedro Moya, «Niño de la Capea». Un torero à
la tauromachie très efficace et à la carrière plus importante. Mais la majorité
des aficionados de la Glorieta au fur et à mesure que Pedro triomphait et
s'achetait des terres dans le campo charro soutenait Julio, le «pauvre» contre
Niño de la Capea, le «riche». Les deux sont très amis, mais, lorsque chacun
triomphe à Madrid, leurs clans respectifs s'engueulent sur la Plaza Mayor pour
savoir qui mérite la grande porte. Si Capea invente une passe de muleta,
la capeina, Robles s'en inspire pour créer la roblesina. En 1988,
Pedro torée sa dernière corrida chez lui à Salamanque, qui l'ovationne enfin
avant le paseo et pour la première fois depuis dix-sept ans qu'il y torée. Julio qui est à l'affiche lui
«brinde» son premier toro.
Le drame de Béziers n'avait pas totalement déraciné Julio Robles comme le vent
violent soufflant du Portugal peut déraciner les chênes verts du charro. De sa
chaise roulante, il élevait des toros. Il assistait à l'occasion à des
corridas. Il y a trois ans, Ponce l'avait invité à une fiesta chez lui près de
Navas de San Juan, en Andalousie. Au milieu de la nuit, il avait fait éclairer
ses arènes privées et avait lâché une vache brava. Sur sa chaise, Julio avait
pu donner trois passes avec une muleta attachée à sa main par une cravate.
Ponce et ses amis l'avaient sorti en triomphe. Lundi 15 dans l'après-midi,
Ponce et les autres toreros, Cano, Espartaco, El Puno, Capea, et Litri en tête,
c'est le cercueil de Julio qu'ils ont hissé sur leurs épaules pour un dernier
tour de piste sur le sable de la Glorieta. Puis Julio, selon son vœu, a été
inhumé dans un habit de lumière blanc et or avec des parements noirs dans le
caveau familial, à Ahigal de Los Aceiteros, dans le campo charro, près de la
frontière du Portugal.
Salamanque avait décrété deux jours de deuil pour ce torero qui exprimait des choses de son pays avec une si élégante sobriété.
Salamanque avait décrété deux jours de deuil pour ce torero qui exprimait des choses de son pays avec une si élégante sobriété.
Jacques
Durand