C'était un petit bonhomme courageux, énergique, acharné, bon tueur, «joyeux», écrira le critique Don Ventura, et se laissant parfois aller à des effets faciles. Il avait mis à son répertoire le stupide «saut de la grenouille» d'El Cordobés, mais qu'il interprétait sans sauter. Il bouclait souvent ses faenas en regardant les gradins avec la passe très spectaculaire et risquée de «la giraldilla», la petite girouette, où le toro frôle le plus près possible le corps immobile du torero. A Fuengirola, au bar Cayetano, on faisait péter une fusée chaque fois qu'il coupait une oreille. C'était un torero vindicatif. «Un chien de garde», dira El Cordobés, à qui il reprochera un jour d'organiser son boycottage. Réponse d'El Cordobés : «Que moi, je t'empêche de toréer ! Avec les couilles que tu as, personne ne peut t'enlever du milieu.»
Il fera deux carrières. L'une, à la fin des années 60,
météorique : 96 novilladas en 1967, 101 corridas en 1968, année de son
alternative par Antonio Ordóñez, 97 en 1969 malgré deux terribles coups de
corne dont l'un, à Saragosse, lui arrachera la saphène et la fémorale. Après,
dégringolade. A cause des cornades ? Plutôt à cause de son changement de
manager. Márquez, apodéré jusque-là par l'ancien torero José Maria Recondo «le
Belmonte basque», passera dans l'écurie du trust Cámara, qui avait d'autres
poulains à fouetter : Paquirri, Dámaso González. On l'oublie. Márquez,
catalogué comme un torero feu de paille et que certains jugent limité, revient
dans la course en 1975 mais sur un autre circuit : celui des toros difficiles
avec, en particulier, les Victorino Martín, héros de Madrid et dont on dit que
personne ne peut les toréer. Lui, en qui plus personne ne croit sauf ses
proches, si. Avec Andrés Vázquez «El Nono», il devient spécialiste des tigres
de Victorino qui, à cette époque, transhumaient de la sierra de Guadarrama à sa
propriété de Galapagar, dans la banlieue de Madrid, en longeant les zones
urbanisées et en passant sous l'autoroute de La Corogne. Le lion avait trouvé sa jungle.
En 1975 à Madrid, sa
faena au fameux toro de Victorino, Jaquetón, à qui il aurait dû couper deux oreilles
en le tuant bien, le relance aux yeux des aficionados et aussi des critiques
taurins. Ceux pour qui le nombre de corridas et les montagnes de pesetas
engrangées comptent moins que le sérieux des adversaires, Pablo Romero, Miura,
Victorino, Tulio Vázquez et des plazas : Madrid, Bilbao, Pampelune. Du lourd.
Le petit Márquez est maintenant un torero «digne d'applaudissements» selon
Cossío. Victorino Martin lui tresse des louanges en déclarant qu'il est, avec
Andrés Vázquez, le torero qui fait le plus briller ses toros. En 1977, toujours
à Madrid pour la San Isidro, il impose sa présence aux côtés de celles de
Camino et El Viti. Mauvaise pioche : Márquez est dans un jour sans. Il fait
massacrer Palillero, sixième Victorino, par son frère picador.
Miguel Márquez était un torero autodidacte, formé à la
dure, comme beaucoup à l'époque. A 14 ans, il fugue plusieurs fois vers La
Puebla del Rio pour se former auprès des élevages de basse Andalousie. Son
père, un journalier hostile à sa vocation, envoie la Guardia Civil. Miguel est
mineur. Il fera de la prison à Los Barrios et vivra même un moment dans un bois
près de Séville. Il veut que son père lui donne son consentement pour voyager
et se faire torero. Refus paternel. Un jour, ils font ensemble la récolte des
olives. Miguel insiste : «Donne-moi ton consentement. Ça, jamais
! Tu dois me le donner. Je ne veux pas finir comme toi, comme un
malheureux. Je ne devrais pas être là à cueillir des olives mais dans un
collège pour apprendre à être quelqu'un dans la vie !» Son père éclate en
sanglots et, le lendemain, l'émancipe devant un juge de Fuengirola.
Miguel Márquez fera son apprentissage dans les terribles
capeas de Castille et d'Aragon, où il se liera d'amitié avec Dámaso González.
Il était cousu de coups de cornes. A Talavera de la Reina, chaque année, il se
retrouvait à l'infirmerie. Un jour, avant une course, il croise le chirurgien
et l'anesthésiste : «Miguel, aujourd'hui, et pour répondre à toutes ces
visites que tu nous as faites les années antérieures, nous voulons que tu
t'épargnes le passage obligé à l'infirmerie.» Il savait à quoi, en
toréant, il échappait. Une fois, son ami le journaliste Pacurrón l'accompagne à
une corrida à Lorca. En voiture, ils passent devant des ouvriers qui posent du
goudron. Pacurrón : «Regarde Miguel, si tu fais pas gaffe, dans deux
ans tu peux te retrouver là.» Márquez ne répond pas. Le lendemain, il
coupe 4 oreilles, 2 queues, s'approche du callejon et glisse à l'oreille de son
copain : «Le goudron, nada. Mais merci pour l'avertissement.»
Sa carrière s'est délitée au début des années 80. Le
public et les impresarios ne pensaient plus à lui. Il a fait sa dernière
corrida en 1991 et portait sur la corrida contemporaine des jugements assez
amers. Dans une conférence prononcée l'an dernier à Linares, il disait son
hostilité aux écoles taurines : trop confortables, à l'apprentissage trop
rapide. Il parlait de la «dégénérescence du toreo» avec ces
toreros qui marchent entre les passes et qui de son temps auraient été traités
de «profiteurs». Il déplorait la disparition de la rivalité
entre toreros et l'invasion du toro sans prestance, faible, sans bravoure. Pour
lui, les corridas pour vedettes étaient des courses de karting comparées aux
courses de Formule 1 que sont les corridas toristas de Madrid, Bilbao ou
Séville, «torées par les véritables champions du toreo : Frascuelo,
Pepín Liria, Luis Francisco Esplá. Qui, eux, maintiennent l'éthique de la
corrida». Le lion avait encore des griffes.
Miguel Márquez avait récemment perdu sa femme, Gaby, et
venait d'être grand-père. Il a été enterré le 28 mars à Fuengirola, où il a sa
statue devant les arènes. Son cercueil a été exposé à la mairie avant que ses
amis et des toreros ne lui fassent faire un dernier tour de piste dans les
arènes avec dessus sa cape de paseo rouge.
La couleur du courage en
tauromachie.
Jacques Durand
Paru dans Libération Avril 2007
Photo © DR - Tableau Konstantin Savitsky