Pour
les historiens taurins il est, à jamais, «l’infortuné Ballesteros». L’infortune de Florentino Gonzalez Ballesteros s’appelait «Cocinero».
Un toro noir taché de blanc de Gamero Civico ou de Benjumea. Le 22 avril 1917 à Madrid, Cocinero, sixième
toro, charcute Ballesteros, torero de
Zaragoza. Coup
de corne dans la poitrine sur la cicatrice même que lui avait laissé, l’année
précédente où il avait reçu l’alternative à Madrid des mains de Joselito, un
toro de Urcola. Il était devenu phtisique. C’était à Moron et on se dit qu’à
cette époque les toros pourchassaient les toreros nommés Ballesteros et natifs de Zaragoza puisque qu’en 1914 à Cadix un novillo de Lopez
Plata avait, toujours d’un coup de corne dans la poitrine, tué Jaime Ballesteros dit «Herrerin.» Un torero zaragozano, novillero rival de
Florentino et sans aucune parenté avec lui sauf ces histoires de cornades du coté des poumons. «L’infortuné
Florentino Ballesteros» mourra lui au soir du 24 avril 1917 à la Fonda de
Los Leones, dans la rue madrilène del Carmen.
Le fameux photographe Baldomero l’avait photographié un an avant, presque jour pour jour, le 11 avril, lors d’une course à Zaragoza. Florentino pose avec sa femme et son petit enfant de deux ans, Florentino, dans les bras. Dans l’iconographie taurine Le matador jeune mari et papa poule est assez peu représenté .Ou, s’il l’est, c’est triomphant, faisant une vuelta en tenant son fils par la main, comme Paquirri un jour à Ronda avec le futur Francisco Rivera Ordoñez ou comme récemment à Cali le matador colombien Guerrita Chico porté en triomphe et portant lui-même son fiston dans les bras. Le foyer du torero c’est la plaza de toros. Où les toros font leur cuisine et le ménage. C’est pourquoi cette photo trouble par son incongruité. Dedans s’y inscrit une sorte « d’obscénité » qui choque malgré l’amabilité de la scène. Ce qui se choque ce sont deux réalités contraires. La réalité de la paternité et celle du tueur, la réalité de la douceur familiale contrastant avec l’habit de lumières et la brutalité d’un combat que l’on sent tout proche. Ce n’est pas ainsi, généralement, qu’un torero s’y prépare. Il « entre en chapelle » plusieurs heures avant, se coupe de son univers social et domestique, oublie tout pour ne penser qu’au toro, devenu sa seule intimité et au public, devenu sa seule famille. Le berceau de son horizon est celui des cornes des toros. Mais Baldomero connaît l’histoire de Florentino Ballesteros et la met, contre l’usage, en évidence.
Florentino Ballesteros pourrait être le
modèle de Currito de la Cruz ou de l’increvable héros du film «El Niño de las Monjas.» Il est un des
précurseurs de la corrida comme mélodrame pour faire pleurer Margot. Il est né
le 11 janvier 1893 rue du Cheval à Zaragoza et a été le jour même abandonné à
la porte d’un hospice. Il sera élevé comme un orphelin et commencera par se
faire remarquer de l’aficion locale en
sautant plusieurs fois comme espontáneo dans les arènes de la ville. Un jour,
un garde lui ayant arraché sa muleta, il se fera acclamer pour une passe de
pecho réalisée avec son béret. Il se présente chez lui comme novillero le 16
juin 1914, connaît un grand succès. Le public qui sait son passé le soutient de
son affection. Sa rivalité, tronquée en 1914, avec son concitoyen «Herrerin»
soulève la passion dans leur ville natale mais, selon Nestor Lujan, laisse
logiquement sceptique le reste de l’aficion espagnole.
Le fameux photographe Baldomero l’avait photographié un an avant, presque jour pour jour, le 11 avril, lors d’une course à Zaragoza. Florentino pose avec sa femme et son petit enfant de deux ans, Florentino, dans les bras. Dans l’iconographie taurine Le matador jeune mari et papa poule est assez peu représenté .Ou, s’il l’est, c’est triomphant, faisant une vuelta en tenant son fils par la main, comme Paquirri un jour à Ronda avec le futur Francisco Rivera Ordoñez ou comme récemment à Cali le matador colombien Guerrita Chico porté en triomphe et portant lui-même son fiston dans les bras. Le foyer du torero c’est la plaza de toros. Où les toros font leur cuisine et le ménage. C’est pourquoi cette photo trouble par son incongruité. Dedans s’y inscrit une sorte « d’obscénité » qui choque malgré l’amabilité de la scène. Ce qui se choque ce sont deux réalités contraires. La réalité de la paternité et celle du tueur, la réalité de la douceur familiale contrastant avec l’habit de lumières et la brutalité d’un combat que l’on sent tout proche. Ce n’est pas ainsi, généralement, qu’un torero s’y prépare. Il « entre en chapelle » plusieurs heures avant, se coupe de son univers social et domestique, oublie tout pour ne penser qu’au toro, devenu sa seule intimité et au public, devenu sa seule famille. Le berceau de son horizon est celui des cornes des toros. Mais Baldomero connaît l’histoire de Florentino Ballesteros et la met, contre l’usage, en évidence.

Orphelin, l’espontáneo
Ballesteros boucle logiquement l’histoire de la tauromachie comme tragédie en
mourant sous les coups du toro «Cuisinier». Cette photo d’un
bonheur conjugal simple et gagné sur le malheur de l’enfance oubliait simplement que les toros ont un sens pointu de
la logique dramatique et pas du tout l’esprit de famille. Décrit comme un
torero suave, classique, pâle et triste, mauvais tueur mais doté d’un délicat jeu de cape et d’une
bonne main gauche, «l’infortuné Ballesteros» qui avait d’abord eu
une vocation de peintre meurt donc en laissant orphelin de père, un petit
enfant qui deviendra à son tour matador.
Jacques Durand (Texte de 2004)
Florentino Ballesteros au centre à Barcelone en 1916