Nyctalopes et Furtifs
Les nyctalopes sont clairvoyants: ils voient la nuit qu'il n'y a rien à voir
Un Acteur auquel il arrive des choses réelles
Lupe Sino, l’ange du maudit
Elle
est, officiellement, la maudite de l’histoire de Manolete. La réprouvée
certifiée conforme : Lupe Sino. Carmen Esteban a consacré à son histoire
d’amour avec Manolete un ouvrage tonique, peut-être pour répondre à la question
que lui a posée un jour José Tomás, grand admirateur de Manolete : «Qu’est ce que tu sais d’elle, quel genre
de femme c’était ?»
Antonia
Bronchalo Lopesino, dite Lupe Sino, Lupe comme
Le descendant d'Arthur
Dubout
Peajes
C’est une illusion.
Penser qu’ils sont comme nous est une illusion. Pourtant, dans l’aéroport de Barajas,
à 7 heures du matin, en les voyant pousser leur chariot, on pourrait le croire
qu’ils sont comme tout le monde ou qu’on est comme eux. Les voilà qui se
mettent à ressembler à de jeunes hommes
comme les autres, en attente d’un vol, en partance pour, je ne sais pas, des
vacances, une rencontre sportive, une fiesta, un concert, un green lointain,
une plage exotique avec une mer de
prospectus d’agence de voyages, du sable blanc, des palmiers, des drinks
sophistiquées. Pas du tout. Entre eux et nous il y a un abîme invisible. Cet abîme
a la forme, la force, l’odeur, la masse, la lourde respiration, d’un toro, le
terrible bruit qu’il fait en tapant contre la barrière avec ce relent de brulé
de la corne, le blanc de ses yeux de mourant et sa mort rouge qui finit par
filer par le trou d’un lavabo dans un hôtel au décor interchangeable. Ce toro ils
l’ont quitté hier à 800 kilomètres, il les attend dans 12 heures précisément à
1000 kilomètres. Il campe dans leur regard, il se faufile derrière leurs
lunettes noires, il hante leurs conversations, leur fausse nonchalance, leurs blagues
même si là, justement, ils parlent sans doute d’autre chose ou font semblant de
parler d’autre chose, de foot, de filles, de musique, de n’importe quoi. Ils
n’en parlent peut-être pas, ils n’y pensent surement pas, mais rien à faire il
est là. Il est toujours là. Ils ne peuvent pas s’en débarrasser, ils ne veulent
pas s’en débarrasser. La nuit, dans la fourgonnette, entre Murcie et Bilbao,
Santander et Valencia, le Puerto de santa Maria et Valladolid c’est lui, le toro,
qui veille, avec le chauffeur. Il les garde ou il les surveille. Il est dans
les codes phares, dans le ron ron du moteur, le chuintement des essuie glaces,
les virages, les nuits interminables. Il est dans les villes blanches endormies
croisées dans la nuit noire, dans les levers du jour, les cafeterias jaunes,
les 92 fantômes métalliques et ténébreux d’Osborne, dans l’archipel, sans aucun
charisme, des gazolineras ripolinées avec leurs pompes au garde à vous, comme
les alguazils quand ils ont les oreilles à la main. Le toro, il se bat encore
sous les paupières fermées, dans le mauvais sommeil. Il fait la sentinelle dans
un recoin obscur du cerveau. Il bouge toujours, il ne disparaît pas dans l’eau
glacée et savonneuse d’une baignoire comme le sang sur l’habit du maestro
brossé doucement, à cause des broderies et comme une pépite, avec une brosse en
poils de castor. Lui ne se détache pas,
ne s’évapore jamais, remonte toujours à la surface. On ne l’étend pas sur un
fil sur la terrasse d’un hôtel pour que la brise le sèche et l’envoie au loin.
Il ne connait pas le mot loin.César
J’ai
jeté ma veste à Rincón. A Séville, le vendredi 23 avril, vers huit heures du
soir. Il faisait sa vuelta. Il avait coupé deux oreilles à Violonista, un toro
de Jandilla un peu faiblard. Pas pour longtemps. Tout a éclaté au même moment.
La musique, la clameur, les olés, la classe, le galop, la vigueur retapée de Violonista
parce que César, canela y oro, l’appelait de vingt, trente mètres et que
Violonista s’engouffrait dans cette invitation pour ressusciter les années
Rincón 90 en faisant cliqueter le bois des banderilles sur son dos. Quelqu’un
derrière moi : « Es un torero que sabe de toros ». A Alcala de
Henares ce jour là le roi Juan Carlos donnait la médaille du prix littéraire Cervantès
plus 90151 euros au poète chilien Gonzalo Rojas 86 ans fils de mineur. Gonzalo
Rojas : « Il faut en même temps regarder derrière et aussi devant et
ne pas avoir peur de la peur. » Rojas a aussi évoqué la langue comme «
patrie de Cervantès. » A Séville la patrie de Rincón, du Jandilla, des 12543
spectateurs dont moi et ma veste c’était la corrida comme souffle et pas comme
chuchotement. Pendant sa vuelta, Rincón qui paraissait violemment ému plissait
des yeux comme s’il regardait s’éloigner loin, très loin, les différentes saloperies
qui ont failli l’emporter. Ce soir là à Séville Le Vargas Blues Band donnait un
concert Sala Q calle Metalurgia et Rincón venait de pulvériser son propre
blues. Et le mien. J’ai jeté ma veste. Elle est tombée dans la contrepiste. Un
employé de la maestranza me l’a renvoyée sans ménagement ; comme une
peilhe. Certes ce n’était qu’une veste de friperie, à 3 euros, cuir et fausse fourrure,
genre distributeur de la Cause du Peuple dans les années 70 ; mais tout de
même. Le soir on a mangé au Pescaito Frito face au marché de l’Arenal. Le fils
du patron, baryton au théâtre de la Maestranza a d’abord dit tout le mal qu’il
pouvait des critiques en général qu’ils soient de corrida, de musique, de
hockey sur gazon ou de patins sur glace. Il avait dû en prendre une, de
critique, dans les gencives mais enfin il a chanté un air de Carmen, le même
chaque année, sans pouvoir d’ailleurs aller jusqu’au bout. Il s’est excusé. La
gorge. On était une grosse dizaine dont Elena responsable municipale de l’hygiène
des bars et restaurants sévillans. Gros boulot. C’est elle qui avait fait fermer
le bar restaurant des Trois Rois because les cafards. A cause de la corrida de
l’après midi et de Rincón on ne lui en a pas trop voulu. C’est que les
cucarachas de la cuisine des Tres Reyes exhibaient le trapio des Adolfo Martin
de Madrid.Humbles et Phénomènes
Lost Paradise
Howard, Johnny Halliday est un gentil chanteur yéyé, un peu rocker. Pas vraiment rebelle. À paris Il a de gentils copains, il chante de gentilles chansons, il fait de gentilles parties de billard électrique sous les yeux de sa gentille fiancée. Oh, pétard, mais c’est Sylvie Vartan ! Johnny est juste un peu turbulent. Il ne porte pas de blouson noir mais oui une veste à gros carreaux. Il ne chevauche pas une diabolique grosse Triumph Thunderbird comme Brando dans l’Equipée Sauvage mais, oui, une chouette mobylette Paloma Super Strada Flash 50 cm3. Mais voilà, il est, en toute innocence, pris dans une histoire de valise à trimbaler. Elle est pleine de drogue, il s’en aperçoit, jette la coke dans la Seine. Il ne mange pas de ce pain-là. Les trafiquants le recherchent. Pour leur échapper il part se réfugier « à la campagne » comme il dit. La campagne ? La Camargue. Le film, jusque-là en noir et blanc, vire à la couleur puisque le midi c’est coloré, non ? La Camargue c’est son pays d’origine. Il y a des parents et des amis bons comme la fougasse d’Aigues-Mortes. Les méchants l’y retrouvent, le séquestrent dans un vieux mas, lui foutent quelques baffes mais pim, pam, les amis camarguais le délivrent et mettent le mal en débandade. Voici Johnny sauvé par la Camargue « pays des gardians vigoureux, des taureaux sauvages, des chevaux indomptables mais sans danger et de la bouillabaisse d’anguilles » comme le dit Gustave dit le Shérif, personnage bonhomme à fort accent, joué par Fernand Sardou. Johnny qui y a désormais retrouvé la joie de vivre en chevauchant avec les gardians chante que pour lui « la vie va commencer » et qu’entre le soleil, ses amis, les chevaux, les taureaux, les apéros, les jolis oiseaux, les ersatz de flamenco -brève apparition de Manitas de Plata- « les années passeront sans bruit » dans cette carte postale camarguaise, pays unidimensionnel du bien et de l’enfance retrouvée, transformé pour l’occasion en yéyéland. Le sociologue Yves Santamaria* avait vu dans ce film « un processus de rectification de l’image de Johnny. » Image qui risquait, surtout après les incidents violents de son concert du 22 juin 63 place de la Nation, d’être assimilée à celle des blousons noirs. Donc en Camargue et dans tous les sens du mot, pour Johnny ça gaze et la première du film se fera devant un public d’anciens combattants et de ministres. Dans l’Express le critique Jean Louis Bory regrettera que le twist se soit rangé « du côté de la famille et de la patrie. »
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