
A Nîmes, le dimanche de la Pentecôte, devant un public plus de feria que torista, le tercio de piques réalisé par le picador de Meca «El Chano» face au Victorino Martín «Plantado» avait également enthousiasmé un public traditionnellement insensible, voire réfractaire, à la pique. Même vibration populaire autour de la pique à Mont-de-Marsan le 20 juillet, toujours avec les toros de Victorino Martín, ce qui n'est pas un hasard. Et on ne parle pas ici des corridas toristas à Céret ou à Vic, ou de la corrida-concours de Saragosse en juin, où la pique, par définition, joue pleinement son rôle.La saison 2000 marquerait-elle le retour en grâce de la pique à travers une mise en scène soignée et une pratique plus responsable ? Peut-être, mais alors sur la pointe des pieds. Pour la grande majorité des corridas données cette année, le moment de la pique a été, comme d'habitude, liquidé comme simple formalité accessoire ou réalisé selon le principe du sabotage généralisé. On coince le toro contre la barrière pour une pique unique, lourde et destructrice, puis on renvoie les picadors au vestiaire, parce que donner deux piques signifie qu'il faut replacer le toro à coups de cape, ce qui hypothèque le nombre de passes qu'on pourra lui donner à la muleta, là où se coupent les oreilles.
Le 21 octobre à Castres, la pique était l'objet d'une table ronde - organisée
par les Sociétés taurines de France, une fédération torista -, réunissant des
professionnels, matadors, picadores, éleveurs, vétérinaires, responsables
d'écurie de chevaux de pique. Sur le regain d'intérêt pour la pique observé cette année, Luis Francisco Esplá
a précisé que cela ne touchait que les corridas toristas et pas du tout les corridas «commerciales». Alain Bonijol, responsable d'une écurie de chevaux de picador, a répondu que
certains toros dit «commerciaux»,
comme ceux des Domecq par exemple, méritaient eux aussi un vrai tercio de piques. Pour Esplá, la
pique est une question éthique. Elle est à la charge de la morale de chaque torero.
Bien piquer, «c'est comme savoir faire cuire la viande. Trop cuite, elle
devient trop dure». Il a aussi fait remarquer que le public d'aujourd'hui «n'avait
plus la patience de supporter pendant dix minutes un tercio de piques». D'un autre côté, il se demandait pourquoi on ne donnerait pas un grand tercio de piques aux toros quand
on voit qu'ils ne serviront pas à la muleta.
Où piquer a été l'un des points importants abordés par les participants, qui ont tous contredit le catéchisme de la bonne pique, qui demande de piquer dans le morillo. Pour Esplá, piquer dans le morillo, «c'est de la rigolade». Fernandez Meca a expliqué qu'il voulait que ses toros soient piqués non pas dans le morillo, mais derrière, à sa tombée. Le vétérinaire Jean-François Mezières a expliqué que si, dans le morillo, les muscles du cou sont puissants, en revanche ils n'ont pas assez de résistance. Alors, où piquer? Trop en arrière, on lèse les vertèbres, trop en avant, le toro donne des coups de tête, et ces mouvements de tête provoquent des lésions supplémentaires. Où piquer efficacement sans détruire le toro ? Réponse unanime des participants : dans la cruz, derrière le morillo et après la zone dite du «hoyo de las agujas». La cruz est la zone où se rejoignent les deux omoplates. Ces affirmations des débatteurs vont à l'encontre de la tradition, puisque du «Traité de tauromachie» de Pepe Hillo, publié en 1796, jusqu'aux règlements de 1917 on exige, à la différence des règlements postérieurs, qui ne précisent rien en la matière, que le toro soit piqué dans le morillo.
Où piquer a été l'un des points importants abordés par les participants, qui ont tous contredit le catéchisme de la bonne pique, qui demande de piquer dans le morillo. Pour Esplá, piquer dans le morillo, «c'est de la rigolade». Fernandez Meca a expliqué qu'il voulait que ses toros soient piqués non pas dans le morillo, mais derrière, à sa tombée. Le vétérinaire Jean-François Mezières a expliqué que si, dans le morillo, les muscles du cou sont puissants, en revanche ils n'ont pas assez de résistance. Alors, où piquer? Trop en arrière, on lèse les vertèbres, trop en avant, le toro donne des coups de tête, et ces mouvements de tête provoquent des lésions supplémentaires. Où piquer efficacement sans détruire le toro ? Réponse unanime des participants : dans la cruz, derrière le morillo et après la zone dite du «hoyo de las agujas». La cruz est la zone où se rejoignent les deux omoplates. Ces affirmations des débatteurs vont à l'encontre de la tradition, puisque du «Traité de tauromachie» de Pepe Hillo, publié en 1796, jusqu'aux règlements de 1917 on exige, à la différence des règlements postérieurs, qui ne précisent rien en la matière, que le toro soit piqué dans le morillo.
Ces affirmations vont aussi à l'encontre des conclusions de l'enquête menée
pour l'Union espagnole des éleveurs de toros de combats par des vétérinaires de
Las Ventas, qui ont analysé les carcasses de 90 toros combattus pour la San
Isidro 1998. Résultat : on pique en effet dans la cruz pour
42 % des cas, contre 4,7 % dans le morillo.
Les autres piques tombant nettement derrière ces zones. Conséquences
de la pique dans la cruz au
lieu de fixer le port de tête du toro, on amoindrit volontairement sa mobilité
et sa force de poussée, ce qui va dans le sens de l'esthétique de l'actuelle
tauromachie, qui tend vers encore plus de lenteur et nécessite ainsi des toros
peu mobiles. Mais le danger de piquer dans la cruz, disent les vétérinaires de Las Ventas, c'est, par la
section de nerfs dorsaux, de provoquer des boiteries ou des flexions des pattes
avant, alors que piquer dans le morillo n'entraîne
aucune lésion d'organe vital et ne permet pas de fracturer des vertèbres. Conclusion des vétérinaires de l'Union des éleveurs: «D'un point de vue
technique, on devrait réglementer cette zone (le morillo) comme lieu où l'on
doit piquer.» Autre point de débat à Castres : l'effusion de
sang du toro à la pique. La croyance répandue qui affirme qu'un toro est bien
piqué lorsque son sang s'écoule jusqu'à son sabot a été majoritairement
contredite. Alfredo Saenz, vétérinaire taurin à Barcelone, a avoué son
ignorance: «Je ne sais pas si c'est indicatif que le toro a été bien piqué.» Pour Jean- François Mezières, cette croyance n'a pas de fondement. Elle est
comme un «proverbe».
De leur côté, dans leur rapport, les vétérinaires de l'Union ont démoli cette
idée très répandue en piste qui affirme que l'hémorragie du toro à la pique le
«décongestionne» et le revigore comme une saignée médicale. L’hémorragie
du toro à la pique est d'après leur étude trop faible pour produire une
décongestion. Les toros de 500 kilos qui ont un volume sanguin de 37,5 litres
ne perdent à la pique qu'ente 1,5 litre et 2,5 litres. Soit l'équivalent d'un
demi-litre de sang pour un être humain qui pèserait 70 kilos avec un volume
sanguin de 5 litres. Le Pr Martin Roldan, qui a soigné cinq
toros graciés, dont deux avaient pris trop de piques, n'a pas eu à pratiquer
une transfusion sanguine ni à les réhydrater avec du sérum. En revanche, les participants de la table ronde à Castres ont condamné la forme
de la pique actuelle: trop prédatrice. Mais, pour Esplá, c'est surtout sur le mental du toro, «qui subit à ce
moment là une terrible déception que seuls les bravos surmontent», qu'elle
fait des ravages.Conclusion consensuelle de l'éleveur Olivier Riboulet: le tercio de piques ressuscitera si les éleveurs produisent des toros avec de la caste. Il ne parlait pas dans le désert.
Jacques Durand
Publié dans Libération Novembre 2000
Tableau Haut Catherine Dhomps