Fernando Cruz against KFC

On aime d’autant plus la tauromachie et la personnalité de Fernando Cruz qu’une filiale du Kentucky Fried Chicken, le K.F.C, vient d’installer sa tête de faux Trotski mais de vrai ultra libéral à la place du mythique bar des Trois Rois à Séville. Que la multinationale du poulet yankee remplace ce haut lieu de la bohème taurine de l’avenida Reyes Catolicos en dit long sur quelque chose que les crétins appelleront mutation et les pessimistes, déclin. Aux Tres Reyes, le torero raté, le travelo sexagénaire, le cireur de chaussures, le revendeur de billets, le pousseur de voitures, le combinard multicartes, le français, l’anglais, l’américain, le ruthénois cinglé de corrida, l’Abelardo, le Gonzalito, le fils naturel de Robert Redford- si, si- et les aficionados locaux mêlaient leurs mœurs, leurs humeurs, leur eau de toilette, leurs blagues, leur cirrhose et leurs gambas al ajillo dans une fricassée joliment déjantée. The end.
 La cuisse et l’aile panées venus du Blue Grass et des Black Moutains ont remplacé les berenjenas de Almagro et les caballitos de jamon. Pourquoi citer Fernando Cruz, de Madrid, à propos de cette navrante histoire ? On ne sait trop. On pressent seulement qu’il y a un lien. On dira  seulement qu’après celles d’Antoñete ou de Curro Vázquez, par exemple, la tauromachie de Fernando Cruz  se démarque des façons de toréer en batterie de quelques uns de ses contemporains. Comme l’universel se démarque de l’uniforme et comme le joyeux bouillon de culture des Trois Rois s’oppose, s’opposait, à la volaille globalisée importée par le faux colonel Harland Sanders sur les terres bénies qui combinent savamment toutes les nuances du pescaíto frito avec celles de la media veronica et du toreo comme saveur. Avec son visage de brise-glace et le sombre lyrisme de son art Fernando Cruz porte sur son visage de couteau tiré la tauromachie comme blues, comme tourment, comme émotion, comme cristal, comme tension, comme fièvre là où d’autres, en appliquant des recettes la fabrique comme simple produit industriel.


Jacques Durand 

Illustration Haut DeviantArt by Berkosturk                                    Photo bas © DR