Il
y a 70 ans, le 7 mai 1931, Francisco Vega de Los Reyes,
«Gitanillo de Triana», torée à Madrid en mano a mano, avec son ami d'enfance, l'autre torero gitan, Cagancho. Cagancho reçoit un coup de corne. Gitanillo, également surnommé «Curro Puya», du nom d'un légendaire caïd gitan du quartier sévillan de Triana, va le visiter quelques jours plus tard à la clinique du docteur Crespo. A sa sortie, il rencontre le journaliste Ramos de Castro, accompagné d'une consœur argentine, Florencia Marques. Florencia est aussi chiromancienne. Elle interview Gitanillo, lui prédit l'amour, la gloire, l'argent. L'article et ses heureuses prédictions ne sera jamais publié. Après le départ du torero, Florencia le dit à Ramos: «Je n'ai pas eu le courage de le lui dire, mais ce muchacho, un toro va le tuer.» Le 30 mai, Gitanillo, qui a 28 ans, torée avec succès à Cáceres. L'organisateur veut le répéter pour sa corrida du lendemain. Mais un envoyé des arènes de Madrid lui propose aussi une corrida pour le 31 en remplacement d'un torero blessé. Gitanillo est en conflit avec les gérants de Madrid. Ils lui avaient promis d'engager en mai son ami Angelillo de Triana. Ils n'ont pas tenu leur promesse. Gitanillo, fâché contre eux, décide par orgueil d'aller à Madrid et d'y triompher.
Le 31, avant la corrida, dans le patio de caballos, il dit à ses proches: «Aujourd'hui je vais
régler les comptes. Sauf si un toro m'envoie en l'air. » Fandanguero,
toro de Graciliano Pérez Tabernero, va l'envoyer en enfer.«Gitanillo de Triana», torée à Madrid en mano a mano, avec son ami d'enfance, l'autre torero gitan, Cagancho. Cagancho reçoit un coup de corne. Gitanillo, également surnommé «Curro Puya», du nom d'un légendaire caïd gitan du quartier sévillan de Triana, va le visiter quelques jours plus tard à la clinique du docteur Crespo. A sa sortie, il rencontre le journaliste Ramos de Castro, accompagné d'une consœur argentine, Florencia Marques. Florencia est aussi chiromancienne. Elle interview Gitanillo, lui prédit l'amour, la gloire, l'argent. L'article et ses heureuses prédictions ne sera jamais publié. Après le départ du torero, Florencia le dit à Ramos: «Je n'ai pas eu le courage de le lui dire, mais ce muchacho, un toro va le tuer.» Le 30 mai, Gitanillo, qui a 28 ans, torée avec succès à Cáceres. L'organisateur veut le répéter pour sa corrida du lendemain. Mais un envoyé des arènes de Madrid lui propose aussi une corrida pour le 31 en remplacement d'un torero blessé. Gitanillo est en conflit avec les gérants de Madrid. Ils lui avaient promis d'engager en mai son ami Angelillo de Triana. Ils n'ont pas tenu leur promesse. Gitanillo, fâché contre eux, décide par orgueil d'aller à Madrid et d'y triompher.
Gitanillo commence sa faena près de la barrière par la «passe de la mort», une
passe haute, à deux mains, popularisée par Rafael El Gallo. Fandanguero
l'attrape et lui donne contre les planches trois coups de corne. Un dans chaque
cuisse, un troisième dans le dos, à la hauteur de la hanche. Les coups de
cornes dans les cuisses ont provoqué un déchirement des quadriceps et des adducteurs,
celui dans le dos a pénétré dans le pubis, touché le sacrum au bas de la
colonne vertébrale et arraché le nerf sciatique. Hemingway, présent à la
corrida, écrira: «Un rouge-gorge peut extraire un vers de la pelouse humide.»
Conséquense : Gitanillo souffre d'une perte du liquide céphalo-rachidien. On
craint une méningo-encéphalite. Il a été transféré dans la clinique du docteur
Crespo. Son père vient le voir. Gitanillo: «Ne pleure pas, petit papa.»
Il y mourra le 14 août d'une méningite à 7h30 du matin. Le même jour et à la même heure que l'autre grand personnage du monde gitan andalou de l'époque, la danseuse Maria de Albaicín, étoile des ballets russes de Diaghilev, victime à 32 ans de la tuberculose et rejetée par son clan pour avoir épousé un payo, - un non-Gitan - l'acteur Simon Gérard, le premier d'Artagnan du cinéma parlant.
Il y mourra le 14 août d'une méningite à 7h30 du matin. Le même jour et à la même heure que l'autre grand personnage du monde gitan andalou de l'époque, la danseuse Maria de Albaicín, étoile des ballets russes de Diaghilev, victime à 32 ans de la tuberculose et rejetée par son clan pour avoir épousé un payo, - un non-Gitan - l'acteur Simon Gérard, le premier d'Artagnan du cinéma parlant.
Gitanillo
est décédé après une abominable agonie. Pour éviter la perte du liquide
céphalo-rachidien, il est couché en position inclinée, la tête en bas, les
pieds à un mètre de hauteur, Il souffre d'hémorragie. Il a des ulcères. Trois
fois en toussant, son artère fémorale se rompra. Il fait une chaleur
terrifiante sur Madrid. Gitanillo hurle et délire. On entend ses cris dans la
rue. Il pesait 64 kilos en entrant à la clinique, il en pèse 32 à sa mort,
après soixante-quinze jours de supplice où il sera toujours veillé par son
valet d'épée, Antoñito Conde.
C'est comme si le temps avait voulu, avec beaucoup de rancune, punir cruellement celui dont la tauromachie lente, comme suspendue et ralentie jusqu'à l'évanouissement, extasiait les aficionados et jetait les critiques taurins vers d'étranges métaphores où sa mort faisait déjà signe. De ses passes de pecho, puis de ses veronicas à la beauté somnambulique, on répétait après le critique taurin Federico Alcazar, auteur de la formule, qu'elles étaient «comme une minute de silence».
Le 13 mai 1930, Corrochano, pape de la critique taurine, le voit toréer à Madrid et veut chronométrer la durée d'une de ces veronicas. Il regarde sa montre au moment ou Gitanillo arme sa passe, puis quand il la termine. Surprise: sa montre s'est arrêtée. Il jette vite un regard sur celle de son voisin. Elle est arrêtée aussi, il regarde en piste: le toro Lui aussi ne court plus. Il écrira ce jour-là dans une fameuse chronique: «Dis-moi, Gitanillo, est-ce que ton cœur s'arrête quand tu torées?» On disait plus prosaïquement qu'on aurait pu, quand il donnait mains basses et avec tant de langueur une veronica, lui poser un verre d'eau sur chaque épaule sans qu'il en tombe une goutte. L'historien Lujan voyait dans sa tauromachie «un art transparent et triste» et Guillermo Sureda, «quelque chose comme un fleuve endormi». On a dit le «lunatisme indescriptible» des faenas de ce torero qui portait sa poésie jusque dans son nom cadencé comme un martinete : Francisco Vega de los Reyes Gitanillo de Triana.
C'est comme si le temps avait voulu, avec beaucoup de rancune, punir cruellement celui dont la tauromachie lente, comme suspendue et ralentie jusqu'à l'évanouissement, extasiait les aficionados et jetait les critiques taurins vers d'étranges métaphores où sa mort faisait déjà signe. De ses passes de pecho, puis de ses veronicas à la beauté somnambulique, on répétait après le critique taurin Federico Alcazar, auteur de la formule, qu'elles étaient «comme une minute de silence».
Le 13 mai 1930, Corrochano, pape de la critique taurine, le voit toréer à Madrid et veut chronométrer la durée d'une de ces veronicas. Il regarde sa montre au moment ou Gitanillo arme sa passe, puis quand il la termine. Surprise: sa montre s'est arrêtée. Il jette vite un regard sur celle de son voisin. Elle est arrêtée aussi, il regarde en piste: le toro Lui aussi ne court plus. Il écrira ce jour-là dans une fameuse chronique: «Dis-moi, Gitanillo, est-ce que ton cœur s'arrête quand tu torées?» On disait plus prosaïquement qu'on aurait pu, quand il donnait mains basses et avec tant de langueur une veronica, lui poser un verre d'eau sur chaque épaule sans qu'il en tombe une goutte. L'historien Lujan voyait dans sa tauromachie «un art transparent et triste» et Guillermo Sureda, «quelque chose comme un fleuve endormi». On a dit le «lunatisme indescriptible» des faenas de ce torero qui portait sa poésie jusque dans son nom cadencé comme un martinete : Francisco Vega de los Reyes Gitanillo de Triana.
Gitanillo, né dans la Cava de los Gitanos, dans le quartier gitan de Triana,
est fils d'un forgeron et d'une ouvrière de la manufacture des tabacs, ce qui
n'est littéraire que dans Carmen. Ses premières passes, il les donne à 15 ans,
avec son ami Cagancho, à un toro échappé d'un pâturage voisin et qui cavale
dans les rues de son quartier. Belmonte remarquera au cours d'une tienta l'art
stupéfiant de ce «sculpteur gitan qui emplit le vent de statues», comme
l'écrira le poète Manuel Martínez Remis.
Gitanillo,
dévot des idoles de Triana, le Christ du Cachorro et la Vierge de la Esperanza
et à qui l'église trianera de Santa Ana doit sa grille, a commencé à toréer en
1924, l'année de la parution du recueil de Garcia Lorca El
Romancero gitano.
«O, Federico Garcia/prévient la garde civile: ma taille s'est brisée
comme/Une canne de maïs.»
Il
prend l'alternative le 28 août 1927 au Puerto de Santa Maria, avec Rafael el
Gallo et Belmonte. Ce jour-là, le public est intrigué. La cérémonie
d'alternative est étrangement longue. El Gallo fait un discours interminable à
Gitanillo. Il lui parle de toros? Non. En pleine piste, il essaie en vain de négocier
l'achat de fameux coqs de combat qu'il possède. Enfin, il lui dit: «Bon,
maintenant, bonne chance et va au toro. Tu réussiras parce que tu es gitan.»
Gitanillo fera une grande carrière, y compris à Mexico, mais avec beaucoup de coups de cornes. Son duo avec Cagancho remplissait les plazas. C'était, selon Martinez Remis, «un gitan endormi avec la mort à la ceinture». Une ceinture qu'un toro danseur de fandangos dénouera pour l'arrêter, lui qui détraquait les montres et le temps en ralentissant ses passes avec une angoissante beauté.
Gitanillo fera une grande carrière, y compris à Mexico, mais avec beaucoup de coups de cornes. Son duo avec Cagancho remplissait les plazas. C'était, selon Martinez Remis, «un gitan endormi avec la mort à la ceinture». Une ceinture qu'un toro danseur de fandangos dénouera pour l'arrêter, lui qui détraquait les montres et le temps en ralentissant ses passes avec une angoissante beauté.
En
1945, sa mère, l'ancienne ouvrière de la manufacture des tabacs, offrira, pour
qu'on lui en fasse une robe, l'habit couleur plomb et or qu'il portait le jour
de la tragédie à la Vierge sévillane de la confrérie de los Gitanos: Nuestra
Señora de Las Angustias.
Jacques
Durand
Publié dans Libération Août 2001
Publié dans Libération Août 2001