Des alternatives à Nîmes on n’en avait jamais vue à part celle des zincs : «Ricard ou 51 ?» Les initiés expliquaient le coup. Alors le chef de lidia il lui tape dans le dos, il lui dit trois mots, il lui donne les trastos. Les quoi, et bé la mulete, on dit la mulete, et l’épée de verdad. Les vrais aficionados disent «l’épée de verdad» en faisant entendre le d final. Et ça se passe quand ça ? Au troisième toro ? Non, au premier. Mais le premier toro c’est pas pour le plus ancien ? Si mais là non. On n’y comprenait rien. Et c’est valable ça une alternative en France ? Ce serait pas juste un coup de pub ? C’est que le Simon il sait y faire. Et il pourra toréer en Espagne comme matador ? Certains jurent que oui, d’autres que non, les sans opinion remettent la tournée. Et des matadors français combien il y en a eu ? Ceux qui ont vu le jour avec un abonnement à Toros dans leur berceau et tètent Paco Tolosa le savent : Trois. Félix robert, Pierre Pouly et celui là là dont parle Antoine Blondin et Belmondo dans «Un singe en hiver», là, j’ai le nom au bout de la langue. Schull ! C’est ça Pierre Schull. Dans l’hiver les clubs taurins locaux ont fait pression sur Ferdinand Aymé pour qu’il programme le machin alternatif de Simon Casas, quatrième français à devenir matador, commutateur de tous ces nîmois qui veulent devenir toreres. On dit aussi toreres.
Il porte l’espoir qu’on les
prennent au sérieux. «On», c'est-à-dire avant tout les nîmois eux-mêmes, les
ricaneurs de toujours, ceux à qui on ne la fait pas, la presse locale spécialisée
ou non, les marchands des halles, les aficionados du «Prolé», les chemisettes Lacoste
de l’Imperator, les purs, les impurs, les hybrides, les «pattes d’eph» et les
autres. Donc Simon Casas s’habille en torero dans un habit de lumières neuf
noir et or dans une chambre de l’Imperator, hôtel des toreros. Il arrive
d’Andalousie. Il a un apoderado qui fait brailler des chansons espagnoles dans
sa bagnole. Il a bien fait les choses, il les dit encore mieux. Dans la pièce,
des amis, des représentants de la presse nationale, on ne dit pas encore des
medias, un stress à couper au couteau. Trop sans doute. Pression, dépression.
Echec de Simon casas. Ecroulement, désastre. Les sifflets sont plus que durs.
Une sorte de haine est tombée sur lui. Constat des plus compréhensifs à la
sortie de la corrida : un français ne peut pas être torero. On s’en doutait, on
n’osait pas le dire, tout ça est affaire d’Espagne , d’espagnols ,de souliers
cirés, de grosses voitures américaines, de botijos que tu sais pas y boire et
que tu t’en mets partout, de tissus en coton à carreaux marrons noués en paquet et
introuvables chez «Raphael habille bien», de gomina, d’eau de Cologne
Heno de Pravia, de horchata de chufa, de tricornes noirs en carton bouilli, de
gourde Las 3 ZZZ et de cure-dents. Les aficionados qui retournent le soir aux
arènes pour une novillada nocturne ont leur religion faite. Cette histoire des
toreros français est une baliverne.
Les proches, les amis des Casas, Jaquito, Pascal, Chinito, El Andaluz,
regardent leurs chaussures. Des boots. Si on allait plutôt s’empéguer comme il
se doit ? Deux heures plus tard tout le monde ressort en rabachant
jusqu’au délire le nom de celui qui vient dans la nuit de les éblouir.
Il se
nomme Christian Montcouquiol, il porte un costume rose et blanc, il se fait appeler
Nimeño II, il est le frère d’Alain, il est jeune, nîmois, débutant, novillero,
il ressemble vraiment à un torero, il vient de couper 3 oreilles et de
rivaliser y compris aux banderilles avec Luis Francisco Esplá dont toute
l’Espagne bruisse. En quelques heures la feria a changé de héros comme un
cavalier saute au cirque d’un cheval à l’autre. Dans les jardins de l’Imperator
où il vient de tenir une conférence de presse Simon Casas tire vite les leçons
de sa chute.
De
sa douleur intime il ne dira rien sauf à ses proches. Ce métier n’est pas fait
pour lui ou lui pour ce métier. Il va se battre sur d’autres fronts. Rideau. Au
même moment au bas du boulevard, Christian
Montcouquiol est comme à l’autre bout du monde. Il sort en triomphe avec Esplá
et Macandro, entre à l’hôtel du Lisita. Embrassades, accolades. A deux cents mètres
de là le mot «Fin» apparaît sur l’écran du cinéma Majestic. Pas grand
monde dans la salle. Aller au cinoche un soir de feria !
Le film était
pourtant espagnol. Il parlait de toros et de fatalité : «Yo he visto a la
muerte.»
Jacques Durand
Texte publié dans Faenas 2007
Tableau Giovanni Bellini "La Fête des Dieux"