El Juli pénètre dans les
plazas de
toros à grandes enjambées un peu lourdes. Il fait sonner son pouvoir. Un conquistador,
un incipit énergique. Il déboule. Il a collé sur sa figure l’air du toréador.
Cet air vaguement buté de qui en a vu d’autres et qu’on ne vienne pas
l’emmerder, surtout avec Bizet, Carmen, l’œil noir qui regarde et l’amour qui
attend. On sait qu’il fera le maximum comme d’habitude, il sait qu’on le sait.
On sait qu’il sait qu’on le sait. Son visage, son pas l’assurent. Les toreros
se donnent toujours l’air de ce qu’ils
sont ou veulent paraître, ce qui est et n’est pas la même chose. Y compris dans les instants
les plus critiques. Souvenir. Dans les années 60 dans le patio de caballos de
Valencia, feria de juillet, Antonio Ordoñez, verdâtre, collé contre un mur
sombre, boucan terrible, chaleur énorme. Sa pomme d’Adam qui monte et qui
descend est la seule manifestation de son stress. Un mètre de no man’s land
autour de lui. Une barrière de glace. On le scrute comme on scrute la Joconde. Ou
un incompréhensible rebus. Avec une sorte de curiosité obscène et de respect
éberlué. De la dévoration. Pas le moment d’aller lui taper sur l’épaule et lui,
pas le genre à accepter ces familiarités hors de propos et, de toutes façons,
inimaginables.

El Juli donne
fermement le change. C’est sa politesse. Il efface les signes, énervement,
lassitude, impatience, sur sa face de savon. Black out. Imperméable. La sagesse
active de l’imperméabilité, la tension dans la suspension. L’aliment des
grandes faenas ? La fureur rentrée. On le voit comme un type qui va au
baston sans sourciller, est tout à fait prêt à en découdre, qui sait ce qui
l’attend et ce qu’il a à faire. Ce qu’il fait, bien, très bien, sans complexe
apparent et basta. Posture. La simplicité affectée écrivait La Rochefoucauld
est une imposture délicate. Quoiqu’ ici il faille remplacer imposture par le
mot de devoir. Un torero se doit de ressembler à un torero. A savoir, devenir
pur reflet. Si El Juli file ainsi, comme
à marches forcées, à travers les coulisses c’est pour échapper, comme du
gibier, à la gélatine gluante du lieu : photographes, focales comme des
lance roquettes, chasseurs de souvenirs impérissables, adulateurs brevetés,
corniauds, micros langues pendantes, responsables de quelque chose, du crottin
, de la chapelle, de l’ici bas et de l’au-delà, huiles locales, inutilités pomponnées et
radieuses de se trouver là. Les
photographes le pointent mais lui, comme Castella, Juan Bautista et les
autres, les désappointent avec, mine de
rien, une mine de coffre fort. Leur avidité numérique tourne à vide. El Juli
fend «ça» d’un pas
d’adjudant chef, ou de chef tout court, avec une sorte de regard sans
égards particuliers mais, lui pas plus que les autres, sans pouvoir s’y
soustraire Impossible. La glu se colle à lui comme la suie des stress a, depuis
tant d’années et de paseos, obscurci les briques rougeâtres du tunnel des
cuadrillas à Madrid. Tant, qu’elles
paraissent suer, se recouvrir du vernis gras de centaines de peurs.
El Juli se laisse dévorer par cette piétaille. Coincé contre le mur comme un fusillé, il lui abandonne son personnage. Abandonner ? Pas tout à fait. Il le lui prête. Comme un petit soleil il satellise les futilités, les curiosités, la confusion et le mitraillage environnants. Il en joue. Comme, en joue, feu ! Il regarde en l’air, au dessus, au-delà, à travers. Il a l’habitude. Il contrôle même ça. Castella, également. Il voit sans regarder ou regarde sans voir. On subodore que rien, pourtant, ne lui échappe. Son regard tombe sur le photographe comme une aumône, un caprice, un mandat d’arrêt. El Juli, Castella, Juan Bautista, tous contrôlent tout et le mot chef leur va bien. Ils sont l’objet et le sujet de tout ce barnum. Ils sont de toutes manières au dessus de ceux là qui croient, dans ce circus, apercevoir les dessous, appartenir à la tribu. Manda el cabo. El Juli est un bon camarade. Il dit bonjour à chacun avant de se rencogner, entouré des siens. Ses péons, comme une armure, une flottille autour du bateau-amiral. Les pions du roi. Certains toreros se saluent à peine voire pas du tout comme Castella et Perera. Ils sont fâchés. Des chiens de faïence sans fissure dans leur réciproque exécration.
Les toreros sont des héros, des sortes de condottieres parfois tenaillés par de réjouissantes jalousies de petite peste.
Rien
de scandaleux là dedans. Les divinités du Parnasse en faisaient autant. El Juli se laisse dévorer par cette piétaille. Coincé contre le mur comme un fusillé, il lui abandonne son personnage. Abandonner ? Pas tout à fait. Il le lui prête. Comme un petit soleil il satellise les futilités, les curiosités, la confusion et le mitraillage environnants. Il en joue. Comme, en joue, feu ! Il regarde en l’air, au dessus, au-delà, à travers. Il a l’habitude. Il contrôle même ça. Castella, également. Il voit sans regarder ou regarde sans voir. On subodore que rien, pourtant, ne lui échappe. Son regard tombe sur le photographe comme une aumône, un caprice, un mandat d’arrêt. El Juli, Castella, Juan Bautista, tous contrôlent tout et le mot chef leur va bien. Ils sont l’objet et le sujet de tout ce barnum. Ils sont de toutes manières au dessus de ceux là qui croient, dans ce circus, apercevoir les dessous, appartenir à la tribu. Manda el cabo. El Juli est un bon camarade. Il dit bonjour à chacun avant de se rencogner, entouré des siens. Ses péons, comme une armure, une flottille autour du bateau-amiral. Les pions du roi. Certains toreros se saluent à peine voire pas du tout comme Castella et Perera. Ils sont fâchés. Des chiens de faïence sans fissure dans leur réciproque exécration.
Les toreros sont des héros, des sortes de condottieres parfois tenaillés par de réjouissantes jalousies de petite peste.
Jacques Durand
Photo Denise de la Rue