pour la première fois en France mardi, à Hagetmau, a commencé. Elle s'est arrêtée d'un coup, le temps d'ouvrir une revue de mode. Dedans, une photo de tauromachie. On y voit un torero, Manzanares, faisant une passe de poitrine à Nîmes. Mais Eva Bianchini ne sait pas ce qu'est une passe de poitrine, ni ce qu'est un torero, ni en quoi consiste ce qu'elle voit là, dans sa maison de Florence, Italie. Eva Bianchini, 14 ans, a ouvert le journal, et Eva Florencia l'a refermé. Dans le froissement du papier et malgré la répugnance pour le sang sur le dos du toro, la photo l'a engloutie comme le terrier du lapin blanc poursuivi par Alice. Sauf que pour Eva, le pays des merveilles, c'est désormais l'Espagne, les toros, les toreros.
En 1994, elle les convainc de partir en vacances en Espagne. Elle découvre Séville, dont elle était «amoureuse» à distance : «J'ai vérifié que ce dont je rêvais existait. J'y ai vu des gens qui croyaient en ce que je croyais : les toros.» Sur le chemin du retour, elle assiste à sa première corrida, à Arles. Elle se fabrique une muleta, imite Ortega Cano. Un jour, elle disparaît du domicile familial. Eva est mineure. Elle a fait une fugue avec un passeport périmé. Train, auto-stop, autobus, elle feinte la Guardia civil au poste frontière de Port Bou. Deux semaines plus tard, Interpol la localisait. Son père et le consul d'Italie la récupèrent à Séville. Retour en Italie. Eva abandonne alors ses études, travaille comme serveuse, attend sa majorité et, enfin, s'installe à Séville, dans le quartier de la Vierge de la Macarena, pour qui elle éprouve depuis une dévotion particulière. Elle s'inscrit à l'école de tauromachie mais ne s'est jamais mise encore devant une vache. Elle convainc l'éleveur Buendia de l'inviter à une tienta : «D'accord pour demain à 4 heures.» Elle s'y rend en vélo avec sa muleta. La première vache qu'elle torée la bouscule violemment, huit fois. Le matador José Luis Parada, qui participe à la tienta, remarque son opiniâtreté et la conseille, ce qu'il fait encore aujourd'hui. Une autre fois, renversée par une vache et moulue de coups, un participant à la tienta la relève, la prend dans ses bras. Elle n'en est jamais redescendue. Ce sont les bras d'Antonio Vázquez, dit «El Vinagre» (le Vinaigre). Depuis ils vivent ensemble à Higuera de la Sierra. Le «Vinaigre» est un ancien novillero qui n'a pas poursuivi après son alternative. Il est désormais son Pygmalion.
Eva finit par être engagée dans des novilladas sans
picador, comme à El Alamillo, où elle coupe une queue. Elle
torée autour de Séville et obtient de bons succès à Carmona, à Los Palacios et dans les environs de Aracena, dans l'Andalousie des chênes-lièges, comme à Santa Ollala de Cala, où les toros vont se planquer derrière un gros laurier-rose. Ou encore comme à Santa Ana La Real, où il n'y a qu'une novillada par an et avec un seul toro acheté après une quête dans tout le village. Depuis deux ans, c'est elle qui le combat. Mais l'an dernier, la corrida a failli ne pas avoir lieu. La porte du toril était coincée. Il a fallu appeler la Guardia civil pour l'ouvrir. En 1999, chez elle, à Higuera, en deux novilladas, elle a coupé six oreilles et deux queues dans une corrida féminine, et le 21 juillet 2001, elle a fait le paseo à Séville dans une novillada de promotion. Le public a demandé l'oreille, qu'elle n'a pas obtenue du président. Elle arborait une cape de paseo avec dessus, et brodé par elle, le blason de Florence.
torée autour de Séville et obtient de bons succès à Carmona, à Los Palacios et dans les environs de Aracena, dans l'Andalousie des chênes-lièges, comme à Santa Ollala de Cala, où les toros vont se planquer derrière un gros laurier-rose. Ou encore comme à Santa Ana La Real, où il n'y a qu'une novillada par an et avec un seul toro acheté après une quête dans tout le village. Depuis deux ans, c'est elle qui le combat. Mais l'an dernier, la corrida a failli ne pas avoir lieu. La porte du toril était coincée. Il a fallu appeler la Guardia civil pour l'ouvrir. En 1999, chez elle, à Higuera, en deux novilladas, elle a coupé six oreilles et deux queues dans une corrida féminine, et le 21 juillet 2001, elle a fait le paseo à Séville dans une novillada de promotion. Le public a demandé l'oreille, qu'elle n'a pas obtenue du président. Elle arborait une cape de paseo avec dessus, et brodé par elle, le blason de Florence.
A cette occasion, l'histoire de Eva Florencia, première
torera étrangère à toréer à la Maestranza, a fait les choux gras de la presse
italienne, et aussi des médias andalous. Cette célébrité lui a donné quelques
avantages : l'auto-école de Higuera, pour sa propre promotion, lui a offert des
cours de conduite. Certains éleveurs comme Guardiola, Gabriel Rojas, Manolo
González ou Manuel Prado, l'invitent volontiers chez eux pour tienter et Manuel
Diaz el Cordobés lui a offert le costume fuchsia et or dans quoi elle toréait
mardi à Hagetmau. En revanche, Rivera-Ordoñez s'est opposé à ce qu'elle
participe à un festival à Aracena avec lui. Eva ne gagne par d'argent avec les toros. Avec «le
Vinaigre» qui fait aussi de la maçonnerie, elle travaille à récolter le liège
dans la sierra de Aracena, et aussi comme serveuse les week-ends. Eva Bianchini
aurait eu une vie confortable à Florence. Eva Florencia, qui a quarante
novilladas derrière elle, vit avec le ténébreux Vinagre dans une maison très
modeste de Higuera et s'entraîne à la dure. Aucun regret. Toréer, c'est sa vie
: «Quand je torée, je me sens vivante et
avec des sensations contradictoires. Je ressens la peur et en même temps le
courage. Si on m'enlevait le toro, la moitié de moi-même disparaîtrait.»
A Hagetmau, Eva Florencia a étonné les aficionados par sa
lucidité devant le toro, son courage froid et son bagage technique devant deux
sérieux novillos de Gallon. Elle a coupé une oreille, supplanté les trois
autres novilleros et gagné le droit de toréer un second toro. Le 30 août, de
retour en Andalousie, à Zufre, elle va passer dans la catégorie supérieure des
novilladas avec picador. Elle veut voir jusqu'où elle peut aller. Sur les
affichettes qui font sa promotion, Gregorio Conejo, son apoderado, a apposé un
slogan qui lui va comme un gant : «Nada es impossible», rien n'est
impossible...
Jacques Durand
Paru dans Libération Août 2002
Tableau Eva Florencia - Photo Milieu © Maria Spera
Le Blog d'Eva Florencia Lunas claras, toros negros y pinceles bravos