Le 18 mai, à Jerez, dans un costume grenat et noir, Paula, selon le compte rendu du Diario de Jerez, a donné à son premier Juan Pedro Domecq quelques "lances à la veronica comme lui seul est capable de les donner, plus et de face une demi-veronica de rêve, et enfin quelques savoureuses passes de muleta à son second". On connaît la suite, incapable de tuer son premier toro, il n'a même pas essayé d'estoquer le second puis, en pleine piste, s'est arraché la coleta et l'a jetée derrière lui dans un grand geste. Il s'est alors réfugié en larmes dans la contre-piste où Alvarito Domecq l'a embrassé. A la fin de la corrida, Finito de Cordoba, qui lui avait offert son dernier toro, l'invitera à partager avec Curro Romero la vuelta finale de cette "corrida pour l'Histoire". "Maestro salga usted a los medios por favor." De Paula sortira en piste pour une vuelta très applaudie avec les deux triomphateurs du jour. Deux jours plus tard, Manzanares traversera la piste pour aller brinder son deuxième toro à un spectateur anonyme perché au dernier rang du tendido sol : Rafael de Paula. L'astre moribond s'était caché dans le soleil. Son fils téléphonera au chroniqueur du Diario de Jerez pour lui expliquer que son père, en s'arrachant la coleta, n'avait pas signifié qu'il arrêtait la tauromachie mais que ce geste symbolique était un geste spontané provoqué par la honte et la rage devant sa propre impuissance.
Cet acte de pur désespoir torero marque
l'avant-dernière frontière du territoire particulier de la tauromachie de De
Paula, depuis presque un demi-siècle. Sa dernière frontière sera le prochain
coup de corne. Ce territoire s'étend entre une tauromachie à la plasticité
bouleversante et une tauromachie de la débandade, entre la tauromachie du
sentiment et celle de la désolation. Les grandes corridas de De Paula se
comptent sur les doigts d'une main, mais les gestes inoubliables qu'il a semés
de ci, de là entre Jerez, Séville et Madrid, le Puerto de Santa Maria, Ronda,
en disent plus long sur le beau taurin comme mariage du fragile et de
l'improvisé que des centaines de faenas Conforama produites par l'usine à
"figuras". L'attitude de De Paula à Jerez le 17 dit mieux que les
lieux communs parfois suspects qui accompagnent son personnage, ce qui fait le
tuf de sa tauromachie : le "desgarro", le déchirement. Ses
concitoyens comparent de Paula au Christ du Prendimiento, le "Prendi",
le Christ arrêté, enchaîné de l'église Santiago.

Jacques
Durand
Publié
dans Libération Mai 2000
Photos Haut David Cordero © Bas DR